Pour les victimes d’abus : Le Pape François

Face aux abus, et surtout à ceux qui sont commis par des membres de l’Église, il ne suffit pas de demander pardon. Demander pardon est nécessaire, mais cela n’est pas suffisant. Demander pardon est important pour les victimes, mais il faut qu’elles soient vraiment « au centre » de tout. La douleur et les blessures psychologiques des victimes ne peuvent commencer à guérir que si elles trouvent des réponses et des actions concrètes en mesure de réparer les horreurs subies et empêcher leur répétition. L’Église ne doit pas cacher la tragédie des abus, quels qu’ils soient. Ni lorsque les abus se produisent au sein des familles, ni même dans des associations ou dans tout autre genre d’institutions. L’Église doit être un exemple. Elle doit aider à résoudre ces abus, elle doit les faire apparaître au grand jour aussi bien dans la société qu’au sein des familles. L’Église doit également offrir des espaces sûrs pour écouter les victimes, les accompagner psychologiquement et les protéger. Prions pour tous ceux qui souffrent à cause du mal reçu par les membres de la communauté ecclésiale : qu’ils puissent trouver dans l’Église elle-même une réponse concrète à leur douleur et à leur souffrance.

Pro Minoribus

Pro Minoribus

Le coordinateur pour l’intégrité du ministère a lancé une nouvelle publication pour tous les confrères afin de les tenir au courant de ce qui concerne l’intégrité dans leur ministère, en particulier la protection des jeunes et des personnes vulnérables. Cette publication tous les deux mois est réservée aux Missionnaires d’Afrique. Abstenez-vous de la propager en dehors de la Société. Voici le premier numéro.

Vivre le célibat avec intégrité (réservé aux Miss. d’Afrique)

Vivre le célibat avec intégrité

La solitude et la sexualité

Martin Grenier, assistant général supervisant l’intégrité du ministère, a reçu l’autorisation de « Emmanuel Convalescent Foundation » en Ontario de publier ce livret fort intéressant, pour l’usage exclusif des Missionnaires d’Afrique. Je me suis permis de le transcrire en anglais, car la copie dont nous disposons n’est pas très confortable à lire, et de le traduire en français, en demandant à Stéphane J., PHD, de relire la traduction pour que les confrères qui sont moins à l’aise en anglais puissent profiter de ce contenu très intéressant. Vous trouverez au bas du document, le PDF de l’original en anglais. Bonne lecture.

Philippe Docq

AVANT-PROPOS

Peu de sujets semblent donner lieu à des conversations aussi soutenues et diversifiées que ceux liés à la sexualité. En particulier dans le contexte religieux, il y a une longue histoire de réflexion, de débat et même de discussions. Le choix du célibat volontaire a suscité sa propre part de discussion au fil des ans et a de nouveau fait l’objet d’une attention particulière ces derniers temps.

Au long des années, divers commentateurs, des évangélistes aux spécialistes des sciences sociales, ont examiné, expliqué, exhorté, confirmé ou condamné le rôle du célibat en tant que valeur évangélique. Ces dernières années, il est redevenu à la mode de décrire en détail la façon dont le célibat est vécu par ceux qui le professent — souvent avec des conclusions embarrassantes et brutales. Et tant de personnes dans l’Église se retrouvent à revenir, perplexes, sur la question fondamentale : de quoi parlons-nous exactement ? Que signifie réellement un engagement au célibat pris pour des motifs religieux ou spirituels ?

C’est sur cette question que se penche la présente réflexion. Les membres du personnel de Southdown ont été invités à participer à la célébration du 10e anniversaire du programme Ministère des prêtres au Canada. Lors de la conférence de Montréal, le docteur Gilmartin a été invité à examiner cette question spécifique dans l’une des principales présentations. Le texte qui suit est une adaptation et un remaniement de cet exposé. Bien qu’il s’adresse à l’origine aux prêtres du Canada, je suis convaincu que toutes les femmes et tous les hommes qui exercent un ministère y trouveront des éléments de réflexion stimulants et éclairants.

Le docteur Gilmartin apporte une expérience personnelle et professionnelle d’une richesse unique à ses travaux. Pendant plus de 25 ans, il a travaillé avec le clergé et les religieux en tant que thérapeute et éducateur. Avant de rejoindre l’équipe de Southdown il y a quelques années, il a été pendant de nombreuses années directeur de la « House of Affirmation » (Centre de soins pour les prêtres avec des problèmes psychologiques et psychosexuels) aux États-Unis et a donné des conférences dans le monde entier sur les soins préventifs aux ministres. Une grande partie de sa formation clinique a été effectuée dans la région de New York et son doctorat en psychologie a été obtenu à l’université de Kensington en Californie.

C’est un plaisir de le présenter à nouveau à nos lecteurs et de fournir une autre brochure de notre série éducative conçue pour stimuler les questions et provoquer des réactions sur des sujets qui préoccupent les ministres de l’évangile d’aujourd’hui.

John Allan Loftus, S.J., Ph. D.
Directeur exécutif

Introduction

Alors que je me préparais à rassembler quelques réflexions sur ce sujet, il m’est venu à l’esprit qu’il manquait la mention de la honte dans le titre. Plus je parle au clergé et aux religieux des questions de célibat, de solitude et de sexualité en rapport avec l’intégrité, plus je me rends compte que la honte en est le thème central. En fait, la honte est le thème central chaque fois que nous parlons du clergé d’aujourd’hui. La honte… la honte découlant de toutes les accusations publiées dans les journaux concernant les abus commis par le clergé… comment cela peut être lié au nombre décroissant de jeunes gens attirés par la noblesse de cette profession… une réponse personnelle qui peut être ressentie par chacun d’entre nous lorsqu’un autre est accusé d’un comportement abusif que, « Peut-être y a-t-il des événements dans ma propre histoire dont je crains désespérément qu’ils ne fassent surface un jour… » Peut-être des sentiments concernant la représentation d’une Église qui est considérée par beaucoup comme ayant institutionnalisé ses abus envers les gens. Bien que la honte n’entre pas dans le cadre de cette brochure, il est important que nous reconnaissions qu’elle se cache à l’arrière-plan ; il est également important que chacun d’entre nous prenne contact avec sa propre honte et, avec un peu de chance, s’en libère.

« Célibat… sexualité… solitude… intégrité » : cela fait beaucoup à traiter dans un seul livret ; chacun d’entre eux pourrait constituer un livret à lui seul. Mais mettons tout cela ensemble et voyons ce que cela donne.

La première tâche consiste à libérer notre esprit des idées préconçues. Reconnaissant que le plus grand obstacle à la vérité est l’illusion de la connaissance, abandonnons l’illusion que « nous savons déjà », et cherchons la vérité sous un angle nouveau de compréhension.

J’ai entendu l’histoire d’un couple de la classe moyenne supérieure qui avait un enfant, une fille, qui était au centre de leur vie. Au fur et à mesure de son enfance et de son adolescence, elle ne leur a jamais donné une raison de ne pas être fiers d’elle ; elle était populaire auprès de ses camarades de classe, participait à toutes ces activités que vous aimez que les enfants pratiquent, et réussissait superbement à l’école. En dernière année de lycée privé paroissial, elle était à la fois présidente de classe et première de sa classe sur le plan scolaire. Elle a été acceptée dans le programme de préparation aux études de médecine d’un prestigieux collège de l’Ivy Ligue. À la moitié de son second semestre, elle a envoyé une lettre à ses parents et voilà ce qui s’est passé :

« Chers papa et maman,

Après ma visite chez vous à Noël, j’ai décidé qu’il fallait que je fasse quelque chose pour moi, alors je me suis inscrite à un programme de traitement de la toxicomanie. Dans ce programme, j’ai rencontré le plus gentil des garçons et nous prévoyons de nous marier, avec un peu de chance avant l’arrivée du bébé. Mais, ne vous inquiétez pas, il a un cousin qui vit dans une localité retirée en plein désert et nous avons été invités à aller vivre avec lui ».

Le deuxième paragraphe débutait comme ceci :

« Rien de tout cela n’est vrai, mais je vais obtenir un D en chimie… »

Le propos de l’histoire est une question de perspective… voir les choses dans une perspective plus large. Il en va de même pour les sujets que nous allons aborder ; gardons une perspective en nous accrochant à un contexte plus large.

Commençons par voir si nous pouvons parvenir à une compréhension commune de la signification de chacun de nos termes. Que signifie le célibat ? Que signifient l’intégrité et la solitude ? Qu’est-ce que la sexualité ? Tout d’abord, le célibat.

Je travaille avec le clergé catholique romain/religieux depuis 1968. Il ne s’agit pas seulement de quelques années à essayer de comprendre les célibataires engagés ; c’est une foule de prêtres, de sœurs, de frères, d’évêques avec lesquels j’ai discuté des problèmes liés au célibat, y compris de sa signification, mais je ne trouve guère de consensus sur ce qu’il signifie. Cela vient en grande partie de la confusion entre chasteté et célibat. La chasteté nous lie tous, quel que soit le mode de vie que nous avons adopté. Que nous soyons mariés ou non, engagés envers une autre personne ou célibataires, les mêmes commandements nous lient. Je pourrais continuer à parler de la « chasteté du célibat » par rapport à la « chasteté du mariage », mais cette « distinction » peut créer plus de problèmes qu’elle n’en résout. Il en va de même pour le concept de « continence parfaite » tel qu’exprimé dans la « chasteté célibataire » et la « chasteté non mariée ». Lier le célibat à la chasteté rend plus difficile de trouver dans le célibat une valeur qui améliore la vie. Votre vœu ou promesse de célibat ne concerne pas l’observation des sixième et neuvième commandements ; vous avez déjà l’obligation de le faire bien avant de prononcer le vœu. Pourquoi devriez-vous faire le vœu de faire quelque chose que vous avez déjà l’obligation de faire ? Vous ne faites pas le vœu de ne violer aucun des autres commandements. Qu’y a-t-il de si spécial dans les sixième et neuvième qui nécessite un vœu ? Je suggère qu’une personne ne fait pas vœu de chasteté, mais plutôt de célibat, ce qui a peu à voir avec le fait d’être chaste.

Que signifie donc être célibataire ? Une définition du célibat sur laquelle il y a accord est que le célibat signifie rester non marié, ou mieux, rester non engagé dans cette unité sociétale de base qui s’appelle « un couple ». Le célibat a beaucoup plus à voir avec le message de l’Évangile selon lequel il est indigne du Royaume si nous faisons passer quoi que ce soit « avant » le Seigneur ; rien ne doit s’interposer entre vous et Dieu. En faisant le vœu de rester célibataire, vous exprimez radicalement votre totale loyauté et votre engagement envers Dieu/Jésus. Non seulement cette loyauté farouche rejette toute ingérence, mais elle tente même d’éliminer toute distraction de la totalité de votre engagement envers le Seigneur. Dietrich Bonhoeffer, dans sa Lettre depuis la prison, suggère quelque chose dans ce sens lorsqu’il dit que le motivateur ultime de la personne morale est « l’allégeance exclusive à Dieu », c’est-à-dire que la personne pleinement morale est celle « qui essaie de faire de toute sa vie une réponse à la question et à l’appel de Dieu ».

En outre, lorsqu’une personne s’engage dans le célibat, elle entre dans un mode de spiritualité qui diffère de la spiritualité du non-célibataire, que ce dernier soit marié ou non. Un célibataire n’est pas simplement un célibataire ou une célibataire : le célibat n’est pas non plus lié à un état de virginité ; il ne peut pas non plus être un moyen d’éviter l’amour. Il doit être une façon d’aimer, un amour qui embrasse à la fois Dieu et les gens. Le célibat doit faciliter cet amour, c’est-à-dire devenir une spiritualité, sinon il n’est rien d’autre qu’une condition d’emploi ou une commodité institutionnelle.

Je trouve inutile d’assimiler le célibat à la chasteté ; cela nous empêche non seulement de comprendre quelle est la valeur d’un engagement de célibat (une valeur qui a conduit à ce que l’engagement de célibat fasse partie de toutes les grandes religions du monde, à l’exception du judaïsme post-dispersion qui accorde une plus grande signification morale au fait d’être un conjoint et un parent), mais cela élève également la chasteté à une position centrale dans une tradition morale chrétienne, éclipsant de loin l’amour.

Je veux éviter le romantisme en essayant de saisir le sens du célibat. De plus, je ne veux pas confondre la valeur du célibat avec celle d’en faire une exigence pour le sacerdoce. À ce stade, je laisse aux théologiens et aux experts de la vie spirituelle le soin de nous amener plus loin dans la compréhension du célibat comme une voie de spiritualité. Tournons notre attention vers la façon de le vivre avec intégrité.

Définissons l'intégrité

« Intégrité » est un mot encore plus difficile à définir. Dans ma pratique de la psychothérapie, j’ai travaillé avec de nombreuses personnes qui vivent leur vie d’une manière différente de la mienne, et d’autres qui vivent d’une manière qui serait déclarée répréhensible par le commun des mortels, mais qui, aux yeux d’une personne, prétendrait presque vivre avec intégrité. La plupart d’entre nous, si ce n’est tous, veulent être des personnes intègres. Cela peut être lié à une observation que feu l’évêque Fulton Sheen a faite lorsqu’il a dit que si les gens ne vivaient pas comme ils pensent qu’ils devraient, ils se sont vite mis à penser comme ils vivaient. Il est très difficile de s’approprier un manque d’intégrité en soi. C’est ce qui donne à la « négation » un tel pouvoir comme défense psychique. Sentir que nous possédons de l’intégrité est fondamental pour un sentiment de bien-être.

Que signifie « intégrité » ? C’est un concept chargé de valeurs et subjectif ; chacun de nous le définirait différemment. Je peux penser à trois différents niveaux de signification de « l’intégrité » et il est utile d’examiner chacun d’entre eux, car ils contiennent des indices sur la façon dont le célibat est vécu avec intégrité.

Une façon de définir l’intégrité est de la considérer comme une stricte adhésion à un code de comportement. De cette façon, le célibat devient une chose très simple. Pour vivre le célibat avec intégrité, il suffit d’obéir à la loi, qu’il s’agisse de la loi de l’Église, de la loi de la Chancellerie, de la loi adoptée par un chapitre ou un concile, ou de ce que la règle ou la Constitution dit de faire. C’est clair et net. Les lacunes dans cet exercice de l’intégrité du célibat sont ce qui fait tant parler d’elles dans les médias, et ce qui préoccupe tant le gouvernement civil. Il existe des lois qui définissent ce qui constitue un comportement sexuellement abusif ou agressif et si nous choisissons de ne pas tenir compte de ces lois ou d’y désobéir, nous serons obligés d’en assumer les conséquences.

Cela ne concerne pas seulement les relations sexuelles avec des enfants, ou lorsque la coercition physique ou psychologique est utilisée pour obtenir du sexe, mais de plus en plus, le gouvernement civil impose au professionnel du culte une norme de conduite qui lie la plupart des autres professionnels. Certaines juridictions civiles considèrent que les relations sexuelles entre un membre du clergé et toute personne dont il a la responsabilité pastorale constituent essentiellement une violation de la responsabilité professionnelle et, par conséquent, un abus sexuel de facto. Une personne qui enfreint la loi manque d’intégrité aux yeux des autorités civiles ; elle viole une norme requise pour soutenir la justice et prévenir la victimisation.

Sur le plan religieux, est-ce tout ce qu’il y a à faire pour le célibat ? Il suffit de suivre les règles de l’Église et de l’État ? Est-ce là tout ce que vous avez promis ou juré de faire ? J’espère que non ! Cela peut trop facilement être une échappatoire à la responsabilité d’une relation sexuelle adulte, une sanctification d’un développement sexuel arrêté ou retardé, ou être considéré comme une condition d’emploi, c’est-à-dire que vous vouliez être prêtre/frère/sœur et qu’on vous a fait prendre cela comme faisant partie du paquet. En quoi cela donne-t-il la vie ? En quoi cela fait-il de vous une personne plus aimante, un exemple à suivre pour les autres, ou même un meilleur chrétien ? Ce n’est pas le cas.

Une deuxième définition de l’intégrité est « un état de non -altération », c’est-à-dire être extérieurement ce que l’on est intérieurement, être ce que l’on est censé être, vivre sans intentions cachées qui trompent, vivre honnêtement. Ce niveau d’intégrité dit que ce que vous voyez est ce que vous obtenez, je suis ce que je suis censé être.

En tant qu’ecclésiastique, ou religieux consacré, vous assumez un rôle de défenseur public des valeurs de l’Évangile, et l’on attend de vous que vous vous efforciez de vivre ces valeurs dans votre propre vie. C’est particulièrement important dans une institution comme l’Église catholique romaine, qui n’a pas de système de responsabilité envers les personnes que vous servez. En tenant compte de la fragilité humaine, on attend de vous que vous viviez votre vie dans le cadre moral de l’Église. Mais, encore une fois, est-ce là tout ce que signifie le célibat ?

Une troisième définition est celle qui me semble la plus significative et, peut-être, la plus pertinente pour notre sujet. Ici, l’« intégrité » est définie comme la complétude… l’unité… la condition de n’avoir aucune partie ou élément qui veuille… être entier… être complet.

C’est à ce niveau que se situe le défi du célibat : c’est-à-dire vivre le célibat de manière à ce qu’il complète votre personnalité, de manière à ce que, grâce à votre célibat, vous deveniez une personne entière, et non pas malgré le célibat. C’est dans ce sens que le célibat peut devenir une source de vie.

Qui donc ne vit pas le célibat avec intégrité ? Est-ce le prêtre qui a une relation hétérosexuelle/homosexuelle continue avec un autre ? Il échoue certainement dans la première définition, et probablement dans la seconde, mais que dire de la troisième ? Prenez la personne qui, non seulement ne se livre à aucune activité érotique, mais qui a atteint un état où elle n’a même pas de pensée, de sentiment ou de désir érotique. En fait, cette personne a réussi à éradiquer toute passion de sa vie et, par conséquent, elle est devenue un isolé émotionnel, dépourvu de toute vie affective : a-t-elle vécu le célibat avec intégrité ? Une telle personne semble être d’accord avec notre première définition et peut-être le deuxième, mais il est certainement en violation du troisième. Il est vrai que les deux font preuve d’un certain manque d’intégrité, mais lequel est coupable du plus grand manque ? Ne devrions-nous pas nous préoccuper tout autant de ceux qui violent l’intégrité dans le troisième sens que nous le faisons dans les deux premiers ? J’espère que nous considérons tous le célibat comme une façon d’aimer, plutôt qu’une « façon d’éviter l’amour ». Toute autre approche serait incompatible avec notre engagement en tant que chrétiens ou avec les valeurs de l’Évangile.

En quête de la plénitude

Qu’est-ce qui constitue alors un « célibat intègre » ? Comment s’efforcer d’atteindre l’intégrité dans le contexte du célibat ?

Le célibat doit être compris comme distinct de la chasteté. Il ne s’agit pas de minimiser l’importance de cette dernière, mais le fait de l’assimiler à la chasteté constitue un obstacle à la compréhension du potentiel de vie du célibat. De plus, considérer le célibat en termes de disponibilité dans le ministère, c’est déformer complètement la réalité d’un engagement conjugal et la façon dont cela peut renforcer un engagement ministériel. Il y a une certaine valeur à voir le célibat comme étant lié à la spiritualité, à la solitude, à la communauté et au don de soi. Il peut être utile de réfléchir aux raisons pour lesquelles si peu de dirigeants mondiaux sont célibataires (assimilant le mariage, pour les besoins de la discussion, au fait d’être couplé avec un autre) et pourquoi si peu de personnes parmi les plus créatives de l’ère moderne (par exemple les philosophes, les artistes, les compositeurs) ont été mariées (encore une fois, pour les besoins de la discussion, assimilant cela au fait d’être solitaire). Cela nous donne-t-il une idée de la valeur du célibat, de son lien avec la solitude et du besoin de solitude pour la créativité et pour un type de spiritualité ? Il n’y a pas eu de mouvement religieux important, à large assise, qui n’ait pas reconnu une place pour le célibat engagé en son sein.

Puisque ce sont les « personnes » qui sont célibataires, permettez-moi de faire quelques commentaires sur le concept de personne. Pour comprendre ce qu’est une personne dans un sens holistique, il y a deux perspectives auxquelles nous devons nous accrocher en permanence ; perdre de vue l’une ou l’autre peut nous conduire à des préjugés, dont nous sommes trop souvent coupables. Premièrement, toute compréhension de la « personne » doit être ancrée dans la biologie/physiologie. Cela ne veut pas dire que la psychologie, la sociologie, la philosophie, la théologie, etc. ne sont pas importantes, mais nous devons fonder notre concept de la personne sur une base biologique. La nature nous a donné deux instincts de base fondés sur la physiologie : le premier est de se maintenir en vie (donc la faim, la soif, la chaleur, etc.) et le second est d’envoyer ses gènes dans le futur (donc le sexe). De plus, ces instincts n’ont pas été conçus pour fonctionner dans l’environnement relativement bénin de l’Amérique du Nord, mais dans les jungles de l’Asie du Sud-Est, les déserts d’Afrique, les marécages d’Amérique du Sud. Nous sommes des animaux qui ont été conçus par notre Créateur pour donner la priorité à la survie, qu’il s’agisse d’un individu ou d’une espèce. C’est ce que nous sommes, bien que pas totalement, mais certainement de manière fondamentale.

Sans perdre cela de vue, nous devons également nous pencher sur ce que nous sommes appelés à être afin de comprendre notre identité. Si nous perdons cela de vue, alors notre vision de la personne n’est que partielle et trompeuse. Nous nous appuyons ici sur la philosophie, la théologie, la révélation ou sur tout ce qui nous informe à ce sujet. Je choisis de m’appuyer sur la connaissance de la psychologie, fondée sur une compréhension biologique, et avec mes yeux sur l’horizon élargi de ce que notre religion, notre évangile, notre église nous dit sur ce que nous pouvons être. J’espère que cela me donnera la sagesse nécessaire pour parler de la personne et des choses qui nous touchent en tant que personne.

Les personnes font l’expérience de la solitude. Nous savons probablement tous ce que c’est de se sentir seul, mais qu’est-ce que la solitude ? Dans toutes les études de type enquête réalisées sur le clergé ou la religion catholique romaine et sur les questions qui touchent leur vie, la solitude apparaît à maintes reprises comme un facteur important qui influence leur bonheur. Notre expérience nous dit qu’il ne s’agit pas seulement d’une question cléricale, mais qu’elle affecte la vie de la plupart des Nord-Américains. Il suffit d’examiner les thèmes de la publicité pour remarquer à quelle fréquence ce qui est réellement vendu dans le produit proposé est le soulagement de la solitude ; si nous conduisons cette voiture, utilisons ce déodorant, portons ces jeans de marque, nous serons aimés, admirés, respectés par les autres qui rempliront alors le vide dans notre vie et nous soulageront ainsi de notre solitude.

Mais la question demeure : qu’est-ce que la solitude ? Est-ce une maladie ou une affection ? Y a-t-il quelque chose qui ne va pas chez nous parce que nous nous sentons seuls ? Ce n’est pas une maladie, ni psychologique ni physique, et cela n’indique aucun défaut en nous ; ce n’est même pas un ennemi à éviter à tout prix. La solitude est en fait une amie dans le sens où la douleur physique est une amie. C’est un signal, un avertissement que quelque chose ne va pas et que nous devons être attentifs et agir avant qu’un mal plus grand ne soit fait. C’est la capacité à ressentir la douleur physique qui nous empêche de nous détruire et nous permet de survivre à l’âge adulte ; c’est aussi la capacité à ressentir la douleur psychique qui nous permet de vivre une vie psychologiquement saine. La solitude est une douleur psychique. Tout comme la douleur physique est un avertissement que quelque chose ne va pas dans notre corps et que nous ignorons l’avertissement à nos risques et périls, la solitude est un avertissement que quelque chose ne va pas dans la façon dont nous vivons notre vie et que nous l’ignorons à nos risques et périls. En ce sens, la solitude est un ami précieux et digne de confiance. Je peux choisir d’endurer la douleur, qu’elle soit physique ou psychique, pour une valeur plus élevée, mais la douleur dit toujours : « Faites attention… Quelque chose ne va pas… Agissez !

Lorsque nous ressentons la solitude, nous vivons une déconnexion dans notre vie à un point où nous devrions être connectés. C’est ce qui fait l’objet de l’avertissement. Le message est qu’il faut se reconnecter de peur de se faire du mal. Nous devons reconnaître la solitude et l’endroit où la déconnexion se produit avant de pouvoir choisir comment y remédier.

Les dimensions de la solitude

La solitude n’est pas simplement le fait de ne pas avoir une autre personne autour de nous, de ne pas être connecté à quelqu’un d’autre. Elle est plus complexe que cela. Nous avons tous des besoins fondamentaux en matière d’appartenance, de participation à quelque chose, de connexion, mais cela est multidimensionnel.

Il y a une dimension transcendante à cette appartenance dans laquelle nous avons besoin de nous sentir connectés à quelque chose de plus grand/plus grand que nous-mêmes. Que nous appelions cela Dieu, l’Être en général, la Force, importe peu ; même une cause qui nous aide à transcender les liens étroits de notre existence personnelle peut nous donner cette connexion transcendante. Il peut s’agir de tout ce qui nous fait nous sentir connectés à quelque chose de plus grand que nous-mêmes, qui contribue au sens et au but de notre existence et avec lequel nous vivons en harmonie. Lorsque cette connexion nous fait défaut, nous nous sentons seuls. Nous ressentons également la solitude lorsque nous rompons ce lien en nous comportant de manière incohérente ou contradictoire avec cette connexion, même si nous pouvons donner à cette solitude un autre nom, comme l’aliénation ou la culpabilité. S’il nous est si difficile de ressentir un manque d’intégrité à l’intérieur de nous-mêmes, c’est parce que nous nous sentons déconnectés. C’est la solitude.

Deuxièmement, la solitude comporte une dimension culturelle. Nous faisons tous partie d’une culture qui donne une orientation fondamentale à notre vie. C’est un système de valeurs, de croyances, de coutumes, de manières, de façons de faire les choses qui devient si fondamental pour nous que nous le prenons pour acquis et que nous avons tendance à le considérer comme la bonne, ou la seule, façon d’être et de faire. Lorsque nous nous éloignons de notre propre culture et que nous nous trouvons dans une culture radicalement différente, nous vivons un type de dislocation qui est en fait la solitude. Lorsque nous sommes déconnectés de notre culture, nous nous sentons seuls. C’est pourquoi les immigrants auront tendance à se chercher et à se regrouper dans des quartiers ou des clubs où ils se sentent « plus chez eux », c’est-à-dire moins seuls.

La solitude comporte également une dimension sociale. Nous avons tous besoin de sentir que nous sommes socialement acceptables, c’est-à-dire que nous avons une place dans la société, que nous sommes valorisés par le groupe social et que nous « appartenons ». Lorsque le groupe social, que ce soit la société dans son ensemble ou un groupe social plus restreint comme la famille, le diocèse, l’école, l’Ordre, vous trouve inacceptable, que ce soit en raison de votre sexe, de votre race, de votre nationalité, de votre comportement, de vos pensées, de votre orientation sexuelle, de votre âge ou pour toute autre raison, vous ressentez la solitude. La discrimination engendre la solitude, car elle qualifie les gens d’inacceptables, d’inférieurs, de non-appartenants. Nous avons besoin de nous sentir socialement connectés ; une déconnexion se produit lorsque ce groupe social nous marginalise ou nous frôle. C’est la solitude.

Enfin, la solitude comporte une dimension interpersonnelle. Il s’agit de la solitude que nous ressentons lorsque nous ne faisons pas partie de la vie d’une autre personne de manière significative, et que cette personne ne constitue pas une partie significative de notre vie. Lorsque vous vous posez la question « Qui se soucierait vraiment que je ne me réveille pas demain matin ? Quelle réponse obtiendriez-vous ? Je suis sûr que la personne qui devrait assumer votre charge de travail s’en soucierait, tout comme n’importe quelle autre personne qui aurait été gênée par votre disparition, mais qui s’en soucierait vraiment dans le sens où votre absence serait profondément et douloureusement ressentie ? Un pasteur populaire et prospère d’une grande paroisse m’a dit un jour “Chaque dimanche, il y a 40 familles où je pourrais aller dîner et chacune d’entre elles serait heureuse de m’avoir. Mais, vous savez, je ne manquerais à aucune d’entre elles si je ne venais pas”. À qui manquerais-tu si tu ne venais pas ?

Nous avons un besoin humain fondamental d’être connectés à une autre personne ; d’appartenir, en un sens, à quelqu’un. Chacun d’entre nous a la responsabilité de vivre sa vie de manière à maintenir et à entretenir ce lien avec les autres. Cela n’a rien à voir avec la chasteté ou le célibat ; cela a à voir avec l’intimité. La majorité des clercs agresseurs sexuels avec lesquels j’ai eu affaire n’étaient pas avides de sexe, mais d’intimité. Il en va de même pour les célibataires qui se sont comportés de manière à compromettre l’intégrité de leur engagement religieux ; ils se sont mis à faire des choses intimes avec un autre, alors que ce qu’ils recherchaient vraiment, c’était l’intimité avec un autre. Cela a très peu à voir avec le sexe. Comme Tolstoï l’a dit, nous recherchons l’intimité non pas parce qu’elle est nécessaire au bonheur, mais simplement parce qu’elle est nécessaire.

Permettez-moi de faire deux remarques sur l’intimité. Premièrement, je suis convaincu que chacun d’entre nous a besoin d’intimité pour maintenir sa santé émotionnelle. Cela ne veut pas dire que nous n’avons pas aussi besoin de solitude, mais ce n’est pas un problème pour la plupart des célibataires ; la formation et le maintien de relations intimes le sont souvent. Il est admis traditionnellement en santé mentale que de bonnes relations interpersonnelles sont la meilleure prophylaxie contre la maladie mentale. Karen Horney, l’une des pionnières de la théorie psychanalytique non orthodoxe, considérait toutes les névroses non pas comme le résultat de blocages dans l’expression des impulsions, mais comme “le résultat ultime de perturbations dans les relations interpersonnelles… sexuelles ou non”.

Permettez-moi d’aller encore un peu plus loin. Nous devons entretenir des relations intimes avec des personnes des deux sexes si nous voulons grandir et nous développer pleinement en tant que personnes. Cela touche maintenant plus directement à la troisième définition de l’ » intégrité ». En tant qu’homme, je dois être dans des relations intimes avec les hommes aussi bien qu’avec les femmes, et les femmes ont besoin de la même chose. Cela n’a rien à voir avec le fait que vous soyez marié ou célibataire, homosexuel ou hétérosexuel.

Il peut facilement y avoir une tension entre le besoin biologique d’expression génitale pour assurer la survie de l’espèce et le besoin psychologique d’intimité, mais vous pouvez avoir l’un sans l’autre. Une grande partie du problème actuel que nous connaissons autour du célibat est bien plus une question d’intimité qu’une question d’expression génitale. Si, dans le processus de garantie de l’intégrité d’un engagement de célibat, vous désavouez la proximité physique et l’intimité émotionnelle avec une autre personne, vous êtes dans le pétrin. Mais le problème ne réside pas dans le célibat, mais plutôt dans le célibat surchargé.

Le célibat est toujours une façon d’aimer, jamais une façon d’éviter l’amour, sinon il est non chrétien. S’il est considéré comme un moyen d’éviter l’amour, la plupart des gens le trouveront pénible, voire intolérablement difficile. Les seuls qui se satisferont d’un célibat évité sont probablement ceux pour qui le célibat est une nécessité en raison de leur propre handicap quant à la capacité de former et de maintenir des relations intimes.

Une deuxième opinion qui est à la base de notre discussion : ne pas être aimé par quelqu’un est une chose très douloureuse ; si personne ne se soucie de savoir si vous vous réveillez ou non demain, si personne ne vous manque quand vous n’êtes pas là, c’est triste. Mais aussi douloureux que cela soit, ce n’est pas le pire ; c’est tragique si vous n’aimez pas quelqu’un d’autre. Nous n’avons aucun contrôle sur le fait que nous soyons aimés ou non, mais nous pouvons être une personne qui aime. On entend tant de plaintes, surtout de la part des enfants, concernant le fait de ne pas être aimé, mais la question la plus vitale est de savoir qui j’aime, de qui suis-je un ami, de savoir à qui je donne la priorité dans ma vie en raison de mon amour pour cette personne. Lorsque nous parlons d’aimer une autre personne, d’être intime avec une autre personne, ce dont nous parlons, c’est d’être (et d’avoir) un ami. L’amitié est le modèle, pas le mariage, et la question importante n’est pas de savoir qui sont mes amis, mais plutôt de qui suis-je un ami. Pour paraphraser Mark Twain, la meilleure façon d’avoir un ami est d’être un ami.

Que signifie être un ami, aimer quelqu’un, être intime ? « Intimité » est en réalité une chose assez simple. C’est peut-être là que nous exprimons de la manière la plus pure l’impératif moral catégorique d’Emmanuel Kant, qui consiste à faire de l’autre une fin en soi, jamais un moyen. Dans l’amitié, l’amour, l’intimité, nous pouvons faire de l’autre personne une fin presque exclusive. L’autre est traité de manière non exploitante. Si l’amitié est réciproque, alors la prise en charge de l’autre est ressentie comme non-exploitante, et ainsi la sécurité si nécessaire à l’intimité est établie. L’amour présuppose de connaître l’autre et d’être connu par lui. Le mot « intimité » lui-même vient du verbe latin « intimare » qui signifie, littéralement, « amener ou mettre à l’intérieur ».

Pour être intime avec un autre, il est fondamental de permettre à l’autre d’entrer en vous, c’est-à-dire de vous connaître tel que vous êtes, avec vos verrues et tout le reste. Sans cette connaissance, aucune intimité n’est possible. Sans cela, le « Je t’aime » de l’autre ne peut pas pénétrer, car votre réponse sera probablement « Oui, mais si vous me connaissiez vraiment… ». Ce n’est que lorsque l’autre vous connaît vraiment que son amour a de la valeur. Ainsi, se laisser connaître est fondamental pour l’intimité, et s’il doit y avoir réciprocité, alors il faut connaître l’autre.

On poursuit souvent l’admiration alors que ce que l’on veut vraiment, c’est l’amour. Nous pouvons faire en sorte que les autres nous admirent en les amenant à nous considérer comme vertueux, beaux, intelligents, capables, plein d’esprit, ou tout ce pour quoi nous pensons que les autres nous admireront. Mais l’admiration n’est pas l’amour. On peut admirer une statue, mais on ne peut qu’aimer une autre personne et cela suppose que je la vois telle qu’elle est vraiment, sans tromperie ni fausse représentation.

Tout ce dont nous avons réellement besoin pour l’intimité, c’est de nous permettre d’être connus et de faire en sorte que l’autre reçoive cela sans porter de jugement. Si nous sentons que l’autre nous évalue, alors nous reculons et nous nous retenons, bloquant ainsi la formation de l’intimité. En nous permettant d’être connus, nous risquons d’être rejetés, ridiculisés ou de subir d’autres réactions négatives, ce qui nous place dans une position vulnérable. Le fait de rencontrer l’acceptation sans jugement de l’autre permet à l’intimité de s’épanouir. C’est le fondement d’une véritable amitié.

Lorsque vous avez permis à cette amitié de naître et de se développer, vous avez un engagement l’un envers l’autre ; cela implique des attentes pour l’autre et de la part de l’autre. Vous donnez une partie de vous-même en otage à l’autre et il a des droits sur vous, tout comme vous sur lui. Est-ce que cela signifie pour toute la vie ? Non, mais cela ne diminue pas la profondeur de l’engagement. Dans le film « Missing », il y a une scène où l’un de ceux qui se sont portés volontaires pour aller au Chili pour aider à la lutte pour la justice a été confronté par l’un des révolutionnaires chiliens pour leur manque d’engagement envers le peuple chilien. Il l’a dit à l’Américain : « Tant que vous vous promenez avec votre billet d’avion de retour dans votre poche arrière, vous n’êtes pas vraiment engagé pour le bien-être de notre peuple ». Ce n’est pas qu’il ait dû jurer de rester au Chili pour le reste de sa vie, mais le fait qu’il ait refusé de renoncer à la sécurité du billet d’avion dans sa poche a nié l’intégralité de son engagement. Peut-être que l’exhaustivité de tous nos engagements a plus à voir avec l’ouverture qu’avec la durée de vie ; où nous « déchirons » les garanties que nous gardons au cas où cet engagement ne fonctionnerait pas.

C’est dans ce sens de l’engagement que nous entrons en amitié. Nous ne savons pas où la poursuite de cet engagement fondamental pris lors de notre baptême va nous conduire demain, mais cela ne nous rend pas moins engagés envers les personnes et les valeurs de notre vie d’aujourd’hui.

Le sens de Dieu qui nous est donné dans la révélation de la tradition judéo-chrétienne est celui d’un Dieu qui nous invite à l’intimité. L’imagerie utilisée pour décrire la relation de Dieu avec les humains est celle de l’intimité, par exemple une mère avec son enfant, un amant avec sa bien-aimée, un père avec les enfants qu’il protège, une vigne vers ses sarments, etc. Dieu et moi sommes des amis intimes, et je l’exprime dans mes amitiés intimes avec les autres.

L'expérience de la sexualité

Quelle est la place de notre sexualité/génitalité ? Si vivre le célibat avec intégrité exige que nous ayons des relations intimes dans notre vie, éventuellement avec les deux sexes, comment faire face à ces pulsions érotiques ? La plupart d’entre nous veulent vivre leur vie dans l’honnêteté ; en tant que personnes “ordonnées”, vous êtes considérés par la communauté au sens large comme des défenseurs des valeurs de l’Évangile. Personne ne désire pratiquer la malhonnêteté de défendre une norme de moralité sexuelle qui ne soit pas respectée dans sa propre vie. Le faire serait de l’hypocrisie, et nous vivons à une époque où l’on a peu de patience avec l’hypocrisie.

Reconnaissons d’abord que le sexe n’est pas le seul moyen de faire de votre engagement public envers les valeurs de l’Évangile une hypocrisie. Ce n’est probablement même pas la plus importante. Il est certain que dans la poursuite de l’abondance, nous nous moquons de l’évangile qui prône la pauvreté ; l’utilisation inutile, ou l’abus, du pouvoir se moque de Celui qui a renoncé à tout usage du pouvoir. Si nous étions aussi préoccupés par les “péchés d’abondance” et les “péchés d’abus de pouvoir” que par les “péchés sexuels”, nous serions alors vraiment une force “révolutionnaire” dans le monde.

Cela étant, nous souhaitons toujours vivre notre sexualité avec intégrité. Il faut comprendre qu’il existe une tension naturelle entre les pulsions biologiques et les besoins psychologiques, qui se manifeste dès que l’on tente de restreindre l’expression biologique. Freud nous en a trop fait prendre conscience. Une grande partie de nos difficultés actuelles sont dues au fait que nous avons essayé de garder notre intégrité sexuelle en nous éloignant des “occasions de péché” (lointaines comme proches) sans tenir compte des besoins psychologiques qui étaient sacrifiés. Y a-t-il une meilleure solution ?

En tant que psychothérapeute, je trouve qu’une grande partie de mon travail consiste à aider les gens à se posséder, ou mieux, à cesser de rejeter des parties d’eux-mêmes. Chacun d’entre nous est unique et singulier ; il est impératif que vous soyez ce moi et que vous arrêtiez d’essayer d’être autre chose que ce que vous êtes. Si vous reniez une partie de vous-même, cette partie est susceptible de revenir vous hanter et l’arme qu’elle doit utiliser contre vous est la dépression. Les parties de vous-même les plus susceptibles d’être reniées sont celles qui ne répondent pas aux critères de bon, fort, sain, masculin ou féminin, aimable et aux attentes imposées de la même manière en matière de devoir ou d’opportunité qui surgissent dans notre culture. C’est souvent notre moi qui est en colère, ou notre moi qui est sexuel, qui est nié et renié. Ce qui rend l’appropriation de soi difficile, c’est un concept de “normalité” qui ne tient pas compte de la nature particulière de chaque personne.

Dans le domaine de la sexualité humaine, nous devons nous débarrasser de la notion de “normal”, non seulement parce qu’elle est inutile, mais aussi parce qu’elle est fondamentalement inconnue. Nous savons très peu de choses sur ce qui est “normal” en matière de sexualité humaine ; nous savons ce qui est illégal, contraire à l’éthique, voire immoral, mais nous ne savons pas ce qui est “anormal”. (Tout acte sexuel compulsif, ou idée obsessionnelle, est considéré comme pathologique, mais davantage en raison de la compulsivité ou de l’obsession, plutôt que de l’acte lui-même). Notre compréhension de la sexualité humaine est tellement imbriquée avec les valeurs sociales, culturelles, religieuses et historiques que nous sommes incapables d’abstraire une compréhension séparée de ces valeurs ; le seul “normal” que nous pouvons deviner est relatif. Ce que nous savons, c’est que la sexualité de chaque personne est unique et particulière. De plus, nous ne pouvons pas faire grand-chose pour la changer, car nos “cartes sexuelles” sont assez bien établies pour nous très tôt dans la vie. Ce que nous pouvons faire, c’est nous approprier notre propre sexualité et mettre notre comportement en accord avec notre société, notre moralité et nos attentes en matière d’engagement dans la vie. Mais cela commence par la maîtrise de soi.

Si nous renions notre sexualité pour tenter d'”être normal” ou, plus probablement, de “paraître normal”, alors il y aura des problèmes. Il n’y a probablement aucun domaine du comportement humain qui soit autant entouré de “devoirs” et de “droits” que l’expression sexuelle humaine, et la tentative de respecter ces devoirs et ces droits, non seulement dans le comportement mais aussi dans les pensées et les désirs, est souvent la source de nombreuses difficultés ou souffrances humaines. Tenter d’être ou d’apparaître “normal” est l’une des tyrannies les plus pernicieuses que notre société nous impose.

Chacun de nous est unique dans sa sexualité, et différent des autres. En outre, notre sexualité n’est pas une catégorie rigide, mais plutôt un mélange de nombreux sentiments et désirs distincts. Certains des éléments de ce mélange sont probablement qualifiés de “perversions” par quelqu’un. Chacun d’entre nous porte probablement en lui les morceaux (ou potentialités) de toute la gamme des moyens dont disposent les gens pour atteindre un orgasme. Chacun de nous a le potentiel de faire n’importe quoi. Tout cela est mélangé pour constituer notre “carte” ou “plan” sexuel unique.

La plupart d’entre nous vivent en conformité avec ce que l’on attend de nous dans notre expression sexuelle, et chacun d’entre nous a aussi un “côté sombre”.

Aucun d’entre nous ne peut regarder ses frères et sœurs accusés d’abus sexuels sans dire : “Il n’y a que la grâce de Dieu…” Dans chacun de nos propres “ragoûts sexuels” se trouvent les potentialités des comportements pour lesquels les autres sont punis. Soyez reconnaissant de la grâce que votre comportement se conforme.

Si vous estimez que votre sexualité est problématique ou si elle est source d’anxiété, d’inquiétude, d’émerveillement, ou si vous vous sentez en conflit avec des principes juridiques/moraux/éthiques, alors vous devriez chercher de l’aide à ce sujet. Parlez-en à quelqu’un ; si vous avez besoin d’une aide professionnelle, obtenez-la. N’oubliez pas qu’il y a très peu de problèmes sexuels, mais il y a beaucoup de problèmes humains qui s’expriment à travers notre sexualité. Cette “carte sexuelle” dont nous avons parlé est probablement immuable, mais vous pouvez faire quelque chose pour réduire les compulsions, pour mieux gérer les obsessions, pour faire face au pouvoir destructeur que peut exercer la sexualité. Cela implique très probablement d’affronter d’autres problèmes non sexuels dans votre vie, qui s’expriment dans le comportement sexuel, comme la colère, les blessures, le sentiment d’insignifiance, le besoin de pouvoir et de domination, la peur des relations, les effets de votre propre victimisation. Tous ces éléments peuvent être à l’origine de ce qui est exprimé dans le comportement sexuel.

Les sentiments de solitude et d’isolement affectif qui découlent de la façon dont vous essayez de vivre votre vie sont peut-être les plus importants dans les comportements sexuels problématiques. Mais la bonne nouvelle, c’est que l’on peut y remédier ; vous n’avez pas à être à la merci de vos comportements préjudiciables ou destructeurs. Une aide est disponible pour vous aider à mieux vous intégrer.

Je voudrais terminer ce document par une prière. Ce n’est pas ma prière, mais celle de Paul Tillich, prononcée à l’occasion de la célébration de son 60e anniversaire à l’université de Columbia. Je suis sûr que beaucoup d’entre vous connaissent les travaux de Tillich, qui est considéré par beaucoup comme l’un des meilleurs penseurs théologiques du XXe siècle. Je ne suis pas sûr que vous connaissiez bien la dimension tragique de sa vie personnelle, ses dépressions nerveuses, son divorce, sa lutte contre ses propres comportements sexuels et sa peur obsessionnelle de sa propre damnation. C’est peut-être en réfléchissant à ses propres luttes personnelles à cette étape importante de sa vie qu’il a parlé/prié sur le rôle de la grâce dans nos vies. C’est un message que je voudrais vous laisser.

« La grâce nous frappe quand nous sommes dans la douleur et l’agitation. Elle nous frappe lorsque nous marchons dans la vallée sombre d’une vie vide et sans signification. Elle nous frappe lorsque nous sentons que notre séparation est plus profonde que d’habitude, parce que nous avons l’impression d’avoir violé une autre vie, une vie que nous avons aimée ou dont nous étions séparés. Elle nous frappe lorsque notre dégoût pour notre propre être, notre indifférence, notre faiblesse, notre hostilité, notre manque de direction et de calme nous sont devenus intolérables. Elle nous frappe lorsque, année après année, la perfection de la vie tant désirée n’apparaît pas, lorsque les vieilles compulsions règnent en nous comme elles le font depuis des décennies, lorsque le désespoir détruit toute joie et tout courage. Parfois, à ce moment-là, une vague de lumière pénètre dans nos ténèbres, et c’est comme si une voix disait : “Vous êtes acceptés, acceptés par ce qui est plus grand que vous et dont vous ne connaissez pas le nom”. Ne demandez pas le nom maintenant ; peut-être le trouverez-vous plus tard. N’essayez pas de faire quoi que ce soit maintenant ; peut-être ferez-vous beaucoup plus tard. Ne cherchez rien, ne faites rien, n’ayez aucune intention. Acceptez simplement le fait que vous êtes accepté ».

Un ministère de prise en charge (dans le Petit Echo n° 1114)

Certains de nos confrères, surtout dans les régions éloignées, n’ont peut-être pas la chance de lire le Petit Echo, soit à cause d’un problème de distribution postale, soit parce qu’ils n’ont qu’un accès Internet sur leur téléphone portable. Chaque fois que je lirai des articles particulièrement essentiels, je les publierai sur le site Internet sous forme de postes ordinaires, qui devraient être plus faciles à lire depuis un téléphone portable. Ne les manquez pas. 
Ph. Docq

Intégrité du ministère : un ministère de prise en charge

Peter Joseph Cassidy , M.Afr. (dans le Petit Echo n° 1114)

Depuis la création du ministère tel que nous le connaissons aujourd’hui, nous avons été mis au défi d’évaluer régulièrement notre approche à son égard. Pendant mes années de formation (milieu des années 90), le terme « intégrité du ministère » n’existait pas et la réalité n’était pas mentionnée, mais on sentait qu’il y avait un mot inexprimé en rapport avec l’intégrité de soi et du ministère ; si on l’avait adopté à l’époque, il aurait complété notre approche du ministère et de l’autoprise en charge dans tous ses aspects d’aujourd’hui. Heureusement, actuellement, cette attitude a changé et notre programme de formation intègre désormais cette réalité et, nous l’espérons, prépare mieux nos confrères à leur voyage missionnaire quotidien face aux défis qui y sont associés.

Depuis que j’ai prêté serment en décembre 1996, comme la plupart d’entre nous, nous avons tenu des rôles différents et variés au sein de la Société. Certains de ces rôles, nous y étions préparés ; d’autres, par la nature de notre vocation, nous les avons acquis sans grande préparation, voire sans aucune préparation. En regardant mes années de ministère, je peux honnêtement dire que le point de l’intégrité du ministère a été le plus difficile à assumer, au point de susciter colère et frustration. Depuis le moment de ma première nomination jusqu’à aujourd’hui, j’ai été personnellement confronté, et j’ai également dû confronter les autres dans leur approche de la conscience de soi et du ministère, ce qui n’a pas été une tâche facile. Le plus grand défi lorsque l’on se confronte à soi-même et aux autres est l’image que l’on donne de soi et la façon dont on laisse tomber sa famille et les personnes que l’on sert. Parfois, nous tenons pour certain notre rôle dans la vie et oublions le rôle et l’image que nous donnons à ceux que nous servons. Il existe un certain sentiment d’arrogance lié à notre vocation, né de l’histoire où les gens avaient peur de nous affronter, mais cette attitude a changé : les personnes que nous servons sont prêtes à nous affronter, à nous défier et à nous exposer si nous sortons de notre rôle aujourd’hui.

Mon expérience

Mon séjour en Irlande et maintenant mon retour en Afrique du Sud ont montré clairement que notre peuple veut que nous soyons honnêtes et fidèles à notre vocation. Avec le nombre d’ateliers auxquels j’ai participé et, actuellement, la tenue d’ateliers dans l’archidiocèse de Johannesburg en rapport avec la sauvegarde du ministère, je suis constamment surpris par le nombre de personnes qui assistent à ces ateliers. Cela suggère que les gens que nous servons nous crient qu’ils veulent que nous répondions à notre vocation avec intégrité. Cela suggère également qu’ils se soucient de nous et veulent nous protéger au point d’être prêts à nous aider, non pas à nous couvrir, mais à nous aider si nous empruntons un chemin difficile dans notre ministère et dans notre vie.

Nous devons être proactifs, plutôt que réactifs, et développer une approche positive de la supervision professionnelle. Je me souviens qu’au sein de notre Conseil provincial européen, j’ai posé une question sur cette supervision ; on m’a répondu que nous l’avons dans la direction spirituelle ; mais la supervision est différente de la direction spirituelle. Comme nous le savons, il vaut mieux prévenir que guérir. Je crois qu’il y a un besoin de supervision où nos besoins et nos préoccupations sont suivis par un professionnel qui reconnaît une spirale émotionnelle descendante. C’est le cas de toute aumônerie, où il faut prouver, dans le domaine civil, la fréquence de la supervision. Comme tout conseiller professionnel aujourd’hui, il s’agit de faire de même. Notre ministère a changé aujourd’hui, mais les défis restent les mêmes : sommes-nous assez humbles pour chercher à nous faire soigner par un professionnel ?

En tant que missionnaires d’Afrique, nous avons consacré beaucoup de temps et d’argent à « soigner » nos confrères. Il faut se demander s’il n’aurait pas été plus productif d’investir et d’encourager une supervision professionnelle qui nous permettrait d’avoir un miroir pour regarder notre vie et prendre soin de nous-mêmes. Tous ceux d’entre nous qui se disent missionnaires sont confrontés quotidiennement aux horribles histoires personnelles des personnes que nous servons, qui sont parfois le miroir de nos propres histoires. Une fois que ces histoires ne sont pas prises en compte, elles peuvent nous amener dans un endroit « sombre » qui, à son tour, nous affectera, nous et notre ministère. Notre peuple veut que nous soyons vrais et honnêtes dans nos activités ; cela ne peut être accepté que si nous sommes vrais et honnêtes envers nous-mêmes.

Dans notre Société

Cette même réalité doit être acceptée dans nos communautés de missionnaires d’Afrique. Nous devons également être forts pour affronter nos confrères et en prendre soin si nous les voyons s’engager sur un chemin difficile. Nous avons tendance à nous tourner d’abord vers nos supérieurs, en prenant l’option facile, plutôt que de nous soucier du problème et de confronter le confrère en question. Nos communautés doivent être un « lieu de sécurité » où l’on prend soin de nous et où l’on se sent pris en charge. Parfois, nos communautés ont été un lieu de douleur et de manque de soins. Nous devons développer des communautés qui se soucient des besoins des uns et des autres, en ne faisant pas la police, mais en utilisant les compétences que nous avons acquises, en traitant avec les personnes que nous servons et en les mettant en œuvre dans notre communauté immédiate. Vivre dans une communauté où l’on ne parle pas des problèmes (l’éléphant dans le coin) est très difficile alors qu’on épuise son énergie en soi-même, dans la communauté et dans notre ministère.

La supervision est un moyen de se soigner soi-même et a été mentionnée au dernier Chapitre, mais n’est-elle pas restée lettre morte ? Soyons tous assez humbles pour rechercher des soins par le biais de la supervision avant qu’il ne soit trop tard et construisons sur un ministère qui fait partie intégrante de l’image de Dieu.

Intégrité du ministère et ses conséquences dans l’apostolat (PE n°1114)

Certains de nos confrères, surtout dans les régions éloignées, n’ont peut-être pas la chance de lire le Petit Echo, soit à cause d’un problème de distribution postale, soit parce qu’ils n’ont qu’un accès Internet sur leur téléphone portable. Chaque fois que je lirai des articles particulièrement essentiels, je les afficherai comme des articles ordinaires sur le site web, ce qui devrait être plus facile à lire à partir d’un téléphone portable. Ne les manquez pas. 
Ph. Docq

L'intégrité du ministère et ses conséquences dans l’apostolat

Peter Ekutt, M.Afr. (dans le Petit Echo n° 1114)

Sincérité et humilité

Suite à la récente révélation de nombreux cas d’abus sexuels commis par des prêtres ou personnes consacrées, le pape François a écrit une lettre à l’ensemble du peuple de Dieu. Cette lettre est un cri. Un cri pour exprimer la honte et la douleur du pape et de toute l’Église face à ces scandales des abus sexuels et d’autres formes d’abus avec leurs blessures. Ce cri se joint à celui des victimes dont les blessures accompagnent toute la vie. Nous sommes tous secoués, missionnaires d’Afrique (pères blancs) comme toutes les autres congrégations ainsi que les communautés chrétiennes. La question la plus importante à nous poser n’est pas de savoir qui se trouve derrière ces scandales, mais plutôt ce que ces scandales révèlent de notre manière d’être missionnaires. Comment est-ce que ce cri peut nous aider comme missionnaires d’Afrique à apprendre du passé afin de devenir plus attentifs à l’intégrité de notre ministère. Cette question nous invite aujourd’hui à poser un regard dépassionné et moins stéréotypé sur cette crise, sur les personnes et sur les cultures. Il n’y a ni limite d’âge, ni expérience pastorale, ni culture à l’abri de ce mal. Tout le monde, malgré son âge et son expérience missionnaire, y reste exposé.

Échanges pendant une session avec des religieux, religieuses et prêtres diocésains du diocèse de Mahagji

Expérience de terrain

J’ai eu la chance d’animer une session à des religieux, religieuses et prêtres diocésains. Pour la mise en route de la session, j’ai demandé aux participants un travail de « Brainstorming » sur ce qu’ils pensaient de l’« abus sexuel » et de l’« abus du pouvoir ». L’expression des visages des participants m’a fait comprendre que ces questions les mettaient mal à l’aise : c’était inhabituel et demandait un courage exceptionnel. Alors on comprend que la stigmatisation, la méfiance, la culture du silence et le tabou règnent autour de ces sujets à divers degrés selon les milieux. En général, je constate qu’il y a aussi une mystification autour de ces sujets. La peur de plaintes, de stigmatisations et de la justice, mais aussi les liens familiaux, empêchent les gens d’en parler et de dénoncer les cas qu’ils connaissent pourtant bien.

S’agissant de nos communautés, certains confrères acceptent souvent qu’il y a des abus sexuels et des adultes vulnérables, mais pour balayer du revers la question, on y va par des phrases stéréotypées du genre : «mais c’est rare en Afrique », « cela ne se passe pas dans notre secteur ni dans notre communauté », « l’homosexualité est moins grave que la pédophilie », « coucher avec une jeune fille de 17 ans, ce n’est pas de la pédophilie puisque c’est elle qui est venue vers moi ». Même quand on parle de la politique de protection à signer dans notre Société, d’aucuns pensent que c’est un piège pour attraper les confrères. Je connais même des secteurs où le confrère chargé de la question n’ose pas ou ne veut pas diffuser les documents aux confrères, mais attend que les problèmes éclatent pour commencer à citer les grands principes et sévir. Cela explique en partie la méfiance envers les confrères qui sont dans cet apostolat. Nous sommes considérés comme des policiers à l’affût d’infractions pour incriminer. Ainsi, se développe un blocage sur le sujet.

Si, au milieu des peines et des joies, des succès et des difficultés, la Société des Missionnaires d’Afrique continue son pèlerinage 150 ans après sa fondation, les difficultés de l’intérieur restent toujours les plus douloureuses et les plus destructrices. Le scandale de l’abus sexuel, de l’abus de pouvoir, de l’abus addictif et de l’abus de confiance fait souffrir tout le corps de la Société. Voilà pourquoi nous essayons non pas de chercher les victimes, mais plutôt de sensibiliser les confrères sur ce que le pape Benoît XVI a appelé « la blessure ouverte dans le corps de l’Église » en général, et au sein de notre Société en particulier.

Le père Peter Ekkut (en boubou) lors d’une session avec les candidats missionnaires d'Afrique, étudiants en philosophie à Kimbondo (Kinshasa)

Apprendre à allier rigueur et humilité

Nos approches peuvent avoir leurs limites, nous ne le nions pas. Mais la vérité est têtue. En effet, sur le banc des accusés, on identifie non seulement des acteurs politiques et des opérateurs économiques, mais aussi des enseignants, des responsables de groupes de jeunes, des parents, des ecclésiastiques. Souvent nous sous-estimons la prévalence des abus sexuels envers des mineurs et des adultes vulnérables, mais, en pratique, force est de constater qu’il y a de pénibles traces et des dossiers qui coûtent des fortunes à la Société. Ainsi, cet article veut provoquer une réflexion sur l’intégrité de notre ministère. Le fait d’être chrétien — en particulier consacré — dit le pape François, « ne veut pas dire nous comporter comme un cercle de privilégiés qui croient avoir Dieu dans leur poche ».

Il importe donc de réfléchir sur la sévérité des règles à adopter dans tous nos établissements, pour prévenir des faits semblables et s’inscrire dans la logique du pape François qui demande « plus jamais cela », dans nos communautés, nos secteurs et nos provinces. Il est également important que la Société s’engage pour le respect des droits tant de la victime que de la personne mise en accusation ; qu’elle veille à ce que la vérité soit accompagnée de la charité, tant envers les victimes qu’envers les accusés, afin de les conduire sur le chemin de la guérison et de la réconciliation avec soi-même et avec la société.

Lors d’une campagne de sensibilisation des jeunes dans les ecoles de Mahagji sur “l'agression sexuelle”

« Prudence » est le maître-mot

« Il ne suffit pas que la femme de César soit honnête, elle doit aussi en avoir l’apparence ! » Voilà, selon Plutarque, la réponse du grand César en ce qui concerne la répudiation de sa femme Pompéia, soupçonnée sans preuve explicite de relations extraconjugales avec Clodius ; la leçon de cette histoire est que tout responsable public doit, non seulement être intègre, mais aussi éviter tout comportement pouvant mettre en cause son intégrité ; en régime chrétien, nous appelons cela PRUDENCE.

Pour vivre cette prudence en matière de protection des mineurs et des personnes vulnérables, il est important que les missionnaires respectent les limites des espaces privés de nos communautés missionnaires d’Afrique. Plusieurs maisons de formations, heureusement, ces temps-ci, insistent sur l’interdiction de recevoir les visiteurs dans nos espaces privés à savoir nos chambres à coucher et nos salles d’équipe. Cette décision des formateurs ou des communautés des maisons de formation est à saluer et à encourager ; cela montre le sérieux de notre engagement et forme de futurs missionnaires d’Afrique dans l’esprit du cardinal Lavigerie qui ne cessait d’appeler à cette prudence dans ses lettres adressées aux premiers confrères.

Le monde a changé et cela pour tout le monde y compris les clercs jadis considérés comme des saints vivants sur terre. Je perçois ici un appel pressant à tous : apprendre à allier rigueur et humilité, aussi bien au niveau individuel que communautaire.

Intégrité et mission, toujours d’actualité (PE n°1114)

Certains de nos confrères, surtout dans les régions éloignées, n’ont peut-être pas la chance de lire le Petit Echo, soit à cause d’un problème de distribution postale, soit parce qu’ils n’ont qu’un accès Internet sur leur téléphone portable. Chaque fois que je lirai des articles particulièrement essentiels, je les publierai sur le site Internet sous forme de postes ordinaires, qui devraient être plus faciles à lire depuis un téléphone portable. Ne les manquez pas. 
Ph. Docq

Intégrité et mission, toujours d’actualité

Stéphane Joulain, M.Afr. (dans le Petit Echo n° 1114)

Au début des années 1960, notre Société mit fin à la publication de ce que l’on appelait les directoires. Ces documents prévoyaient les différents aspects de la vie des missionnaires. On y retrouvait des directives très claires quant à la manière d’être en relation avec les autres : hommes, femmes et enfants, laïcs et religieuses. On y retrouvait des indications sur les lieux où recevoir les personnes que les missionnaires accueillaient : dans les bureaux, jamais dans les chambres, etc. La Société était consciente depuis le début de sa fondation des limites de la nature humaine et des risques que ces limites faisaient planer au-dessus de l’œuvre des missions. Puis, plus rien. Les vents de liberté des années 1960-70 balayèrent ces documents. Seule la conscience individuelle devait être le guide pour discerner la moralité et l’intégrité de l’action du missionnaire.

Cette méconnaissance de la nature humaine, pour une Église qui s’autoproclamait pourtant par la voix de Paul VI comme « experte en humanité », amena de nombreux maux. Même s’ils n’étaient pas nouveaux, ces maux furent dramatiques pour beaucoup. Le risque, en supprimant toute forme de discipline ou de législation, est que l’individu se retrouve confronté à la dictature de son ego et de sa toute-puissance. Si l’individu n’a pas internalisé un cadre inhibiteur à sa toute-puissance, les dérives sont un risque très réel. L’apport d’un cadre inhibiteur externe, qui rappelle la loi fondamentale du respect de l’altérité du prochain, est alors indispensable. Autrement, le risque est trop grand que ce qui est central ne soit plus l’annonce de la Bonne Nouvelle du Christ ressuscité, mais l’annonce de la supériorité du missionnaire sur le reste des fidèles.

Heureusement, la vaste majorité des missionnaires sont des hommes de foi et de moralité, entièrement donnés à la mission du Christ, avec leurs limites certes, mais avec une générosité et un amour du prochain évidents. Toutefois, certains se sont glissés dans notre Société avec une intégrité moindre, et ils se sont alors servis de leur prochain ; ce sont les mercenaires pour lesquels « les brebis ne comptent pas vraiment », dont parle le Christ (Jn 10,13) ; ce ne sont pas des missionnaires.

Mesures récentes

Il était donc devenu important d’avoir dans notre Société des cadres clairs pour protéger ceux que nous servons. Pour cela, dès 2008, notre Société s’est dotée de ses premiers instruments pour encadrer le ministère auprès des plus vulnérables. Ces instruments ont été révisés régulièrement jusqu’à nous donner notre Politique actuelle sur la prévention des abus (2015), ainsi que différents outils du vade-mecum pour la gouvernance ou pour la formation initiale. Au niveau des provinces et des secteurs, différents instruments plus contextualisés ont été élaborés.

Certains, bien souvent les confrères ayant le plus de difficulté avec leur toute-puissance, les ont perçus comme une limitation de leur liberté. Mais ces instruments ne sont pas là pour limiter la liberté, mais pour protéger les plus faibles.

Certaines infoxs (fakenews) ont alors commencé à circuler ; par exemple, affirmer que l’on ne pouvait plus toucher les enfants même pour les bénir ; dire qu’une chasse aux sorcières était organisée ; que le coordinateur à l’intégrité du ministère (CIM) était le nouvel inquisiteur ; que le droit canonique et notre serment seraient suffisants, etc.

Ces infoxs sont autant de fantasmes qui reflètent la difficulté à intégrer de nouveaux paramètres de travail missionnaire et la difficulté de certains à sortir de la toute-puissance. Cela reflète aussi une autre difficulté : celle d’intégrer l’obéissance à la chasteté.

Soyons ici très clairs, il n’a jamais été interdit de « toucher chastement » les enfants pour les bénir. En Afrique, c’est fréquent à la fin de la messe de voir les petits venir vers le prêtre pour recevoir leur bénédiction ; c’est une belle expérience évangélique ; cela, il n’est pas question de l’interdire. Ce n’est pas ce qui se passe devant tout le monde qui est source d’inquiétude, c’est ce qui se passe derrière des portes closes, loin du regard inhibiteur d’autrui, qu’il faut encadrer.

De même aucune chasse aux sorcières n’est organisée mais, comme demandé par l’Église universelle et les successeurs de l’apôtre Pierre, nous devons répondre à un devoir de justice envers celles et ceux qui ont souffert des comportements de certains de nos confrères et ont dû vivre pendant des dizaines d’années, parfois toute leur vie, avec des conséquences dramatiques, pendant que le confrère, auteur des abus, continuait lui à jouir de tous les bienfaits de notre petite Société.

Le CIM n’est pas non plus un inquisiteur. Les seules personnes pouvant exercer le pouvoir de gouvernance dans notre Société concernant ce genre d’affaires sont le Supérieur général et les provinciaux. Ils sont les seuls autorisés à entreprendre les procédures canoniques qui pourraient s’imposer. Le CIM agit simplement comme conseiller et peut parfois rappeler le cadre de la loi.

Finalement, ni le droit canonique ni notre serment ne sont des instruments suffisant pour assurer une prévention efficace et une protection maximale des plus vulnérables. C’est pour cette raison que le Vatican, en particulier la Congrégation pour la Doctrine de la Foi, a dû compléter les outils à sa disposition pour œuvrer à rendre la maison Église plus sûre. Tous les diocèses du monde, les congrégations religieuses et les Instituts de vie consacrée ont aussi été invités à le faire. Nous devrions nous réjouir que, depuis 2008, nous ayons de tels instruments dans notre Société.

Mahagi Sisters
Après une session du Père Peter Ekkut aux religieuses de Mahagi sur la protection des enfants et des personnes vulnérables

Le serment ne parle pas de la protection des plus vulnérables ; peut-être devrait-il le faire ? C’est une question légitime. Dans le passé, le serment n’incluait pas la formule d’engagement au célibat, puis elle fut introduite. Pourquoi ne pas introduire une petite formule dans laquelle nous nous engagerions à respecter l’intégrité physique, morale et spirituelle des personnes que nous servons ?

Le cardinal Lavigerie

Notre fondateur était très conscient des risques de l’apostolat missionnaire sans cadre précis. Je l’avais déjà rappelé dans un numéro précédent du Petit Écho. Notre archiviste à la maison généralice me partagea récemment un autre texte intéressant de notre vénéré fondateur. Alors qu’il était bloqué à Carthage à cause d’une épidémie de choléra (circonstances passées qui nous semblent aujourd’hui plus familières), il écrit, en 1885, aux missionnaires en retraite spirituelle. Au milieu de différents encouragements face aux critiques extérieures, il signale toutefois une situation de dérive intérieure inquiétante déjà à l’époque : « C’est donc à vous, mes chers enfants, que je m’adresse aujourd’hui.

La malice et l’audace de vos ennemis échappent à votre action et vous devez être résignés à les subir. Mais ce qui dépend de vous, c’est d’éviter tout ce qui pourrait dans votre vie de missionnaires refroidir le cœur de Dieu, arrêter le cours de ses bénédictions et amener ainsi une ruine bien plus douloureuse encore et plus irrémédiable que celle qui viendrait du dehors (…) Par suite des plus graves motifs et dans la crainte de malheurs à jamais déplorables, je me vois obligé de mettre un terme aux rapports trop fréquents et trop étroits qui existaient presque partout entre les sœurs et les missionnaires. Je laisse à votre père supérieur le soin de vous donner à cet égard les éclaircissements et les détails que la prudence m’empêche de confier au papier. Je me borne à dire que, de plusieurs côtés à la fois, 1l m’est arrivé, de personnes les plus graves et les moins suspectes de partialité, des observations et des plaintes sur ces rapports trop multipliés et sur les calomnies qui en étaient la conséquence. Après avoir donc pesé devant Dieu toutes ces considérations, J’ai décidé également de séparer complètement, au moins pour un temps et jusqu’à ce que les congrégations aient vieilli, la direction des sœurs et celle des missionnaires, quant à sa direction générale et particulière. » (Cardinal Lavigerie, Anthologie de textes, volume V (1885-1887), 29e texte : Lettre aux missionnaires réunis pour leur retraite annuelle à Maison-Carrée, 19 septembre 1885).

Notre fondateur était un visionnaire et un homme d’intégrité morale certaine. Il savait tous les dégâts que peuvent faire certains comportements : dégâts sur les personnes, dégâts pour l’annonce de la Bonne Nouvelle. Puissions-nous puiser à son exemple notre détermination et l’intégrité nécessaire à notre mission !

Santé psychologique des Prêtres – une interview de S. Joulain

Santé psychologique des Prêtres - une interview de S. Joulain (Radio Vatican)

L’actualité récente de l’Église catholique en France mais aussi dans d’autres pays comme l’Inde où les États-Unis a été marqués par plusieurs suicides de prêtres. Une prise de conscience progressive émerge dans l’église quant à la nécessité de prêter une attention plus forte aux fragilités psychologiques des prêtres et des religieux dans un contexte de pression sociale et médiatique qui peut être une source d’épuisement. Des cellules de soutien psychologique ont été mises en place dans certains diocèses et de plus en plus de séminaires instaurent dans leur cursus des interventions de psychologue et parfois même un accompagnement personnalisé afin d’aider les séminaristes à identifier leurs propres limites quitte à interrompre leur parcours. L’enjeu est aussi d’aider les futurs prêtres à faire face aux difficultés psychiques des personnes pour lesquelles ils auront charge d’âme. Le Père Stéphane Joulain, membre de la Société des Missionnaires d’Afrique, est aussi psychothérapeute. Il nous explique ce matin comment l’Eglise essaie de développer un soutien psychologique pour ses ministres du culte en les aidant notamment à trouver un équilibre réaliste dans leur vie relationnelle.