Messe du jour de la Nativité du Seigneur Jésus Christ

Isaïe 52:7-10/ Psaume 97 (98)/ Hébreux 1:1-6/ Jean 1:1-18

« Qu’ils sont beaux sur les montagnes, les pieds de celui qui apporte la bonne nouvelle, qui annonce la paix… », entendons-nous dans la première lecture d’aujourd’hui. Il est difficile de ne pas s’attarder sur ces mots à un moment comme le nôtre, où le loup gris, ancien emblème de Mars, dieu de la guerre, semble hanter tous les bulletins d’information à travers le monde. Et pourtant, paradoxalement, la paix est redevenue un désir nouveau et urgent. Le désir de paix commence à marquer le rythme d’une nouvelle ère qui peine à naître.

Il n’y a pas si longtemps, lorsque je visitais des paroisses en Pologne pour animer l’esprit missionnaire de l’Église locale, je parlais de l’Afrique comme d’un continent qui se relevait. Mais ces derniers temps, nous entendons de plus en plus parler des flammes de la guerre, non seulement au-delà de la frontière orientale de la Pologne, mais aussi en Afrique. Même dans des pays longtemps considérés comme stables, où la paix et l’esprit d’ubuntu figurent parmi les valeurs les plus élevées, les gens commencent à exprimer leur colère et leur profonde frustration, transformant leur agitation en résistance ouverte et en manifestations de rue. Et pourtant, la Bonne Nouvelle de la paix proclamée dans la liturgie de la Parole d’aujourd’hui ne me semble plus dissonante ou naïve. Pourquoi ?

En cette période de l’Avent, j’ai été particulièrement ému par le pèlerinage du pape Léon XIV en Turquie, et plus encore au Liban, un pays que je connais peu, mais qui m’est revenu à l’esprit lorsque j’ai prêché les retraites de l’Avent aux étudiants de l’université de médecine de Lublin. Les étudiants m’ont surpris en plaçant une icône de saint Charbel dans la chapelle. Ils avaient été inspirés par le pèlerinage du pape sur sa tombe au Liban. Bien que j’avais préparé un thème différent, leur geste et nos conversations m’ont fait partager leur fascination. Ils suivaient le pèlerinage papal avec beaucoup plus d’attention que beaucoup de prêtres que je connais.

Nassim Nicholas Taleb

Je me suis rendu compte que je savais très peu de choses sur saint Charbel, seulement ce que le pape avait dit à son sujet au Liban. Mais en discutant avec les étudiants, une autre personnalité libanaise m’est revenue à l’esprit : Nassim Nicholas Taleb, dont j’avais lu le livre Le Cygne noir il y a des années. Il écrivait que c’était l’histoire de son propre pays qui avait inspiré sa célèbre métaphore du Cygne noir, ces événements inhabituels qui ne devraient pas se produire, mais qui se produisent pourtant, remodelant notre réalité et parfois réorientant le cours de l’histoire. Et une fois qu’ils se produisent, ils nous obligent à réinterpréter même les éléments de la vie qui semblaient autrefois évidents et incontestables.

Des moments comme ceux-ci nous obligent à réexaminer nos hypothèses les plus profondes, nos habitudes mentales et la lentille même à travers laquelle nous interprétons la profondeur spirituelle de notre expérience. Mais peut-être ne s’agit-il pas seulement d’expérience. Car, comme nous le rappelle Taleb, la dinde qui est nourrie chaque jour à la même heure, qui grossit et reçoit toujours plus de nourriture, peut conclure, de manière raisonnable et sur la base de son expérience, que l’humanité est le meilleur ami qu’une dinde puisse avoir. Et elle le croit, écrit Taleb, jusqu’au mercredi après-midi précédant Thanksgiving (peut-être que la dinde avait la nationalité américaine). Puis l’impossible se produit. J’ai cité aux étudiants cette phrase frappante : « La main qui te nourrit peut être celle qui te tord le cou. »

Taleb s’est inspiré de l’histoire de son pays, une terre qui a connu treize siècles de paix, malgré la domination politique de la Syrie, malgré sa mosaïque de cultures, malgré la coexistence de nombreux rites chrétiens et de branches rivales de l’islam. Beaucoup croyaient que cette longue paix était le fruit d’une caractéristique distinctive de leur culture. Et pourtant, tout cela a pris fin en un seul après-midi.

En prêchant ces retraites de l’Avent, j’ai compris plus clairement pourquoi le pape avait choisi le Liban pour son premier voyage. Le christianisme ne nous protège pas avec des illusions. Le Dieu-Homme est venu proclamer la paix ; il a vaincu le péché, mais il n’a pas éliminé les pécheurs, qui doivent de temps en temps faire face aux conséquences de leurs choix.

Une irruption divine qui remodèle le monde

Et il y a plus encore. Nous pouvons considérer la venue de Jésus comme un événement qui porte toutes les marques d’un cygne noir, une irruption divine qui remodèle le monde et nous oblige à reimaginer la réalité elle-même. Le peuple d’Israël attendait un Messie assez fort pour soumettre les puissants et établir un nouvel ordre. Au lieu de cela, il est né dans une famille pauvre, en marge d’un empire. Il est né d’une femme qui « n’avait pas connu d’homme », ce qui, selon la logique de l’expérience humaine, n’aurait pas dû arriver. Et pourtant, cela s’est produit. Et ceux qui ont cru, des gens simples dont la vie humble leur avait appris à garder leur cœur ouvert même à l’impossible, ont reçu une leçon : l’amour est plus grand que le pouvoir des puissants, l’amour est Dieu.

L’Évangile d’aujourd’hui, tiré de saint Jean, est précisément une tentative de réfléchir et d’articuler le sens de ce grand mystère. En théologie, nous appelons cela la théologie d’en haut, une invitation à lever les yeux, à interpréter les réalités terrestres à la lumière de l’initiative divine. Mais une telle théologie n’est jamais destinée à être simplement répétée. Elle est destinée à nous inciter, nous, les gens du XXIe siècle, façonnés par des expériences très différentes de celles des contemporains de Jésus, à redécouvrir et à réarticuler le sens de l’entrée de Dieu non seulement dans l’histoire humaine, mais aussi dans notre histoire personnelle.

Si nous ne le faisons pas, nous risquons de devenir comme la dinde qui parle de paix le mercredi après-midi avant une fête, quelle que soit la fête, selon la position que nous occupons le jour où tout est détruit.

Par: Tomasz Podrazik, M.Afr.