Canonisation «Soyez saints comme votre Père céleste est saint» (1 P 1,15-17)
Cette année, nous célébrons le 60ème anniversaire de la canonisation des martyrs ougandais. Ils ont été canonisés par le pape Paul VI le 18 octobre 1964 à Saint-Pierre, à Rome. Nous remercions et louons le Seigneur pour le don de nos martyrs et les nombreux fruits que nous avons reçus et continuons de recevoir de l’histoire de leur vie, de leur martyre et de leur canonisation, en particulier des fruits spirituels et moraux.
L’Église catholique en Ouganda, dirigée par le diocèse de Nebbi, célébrera cet anniversaire le 3 juin 2024, sous le thème : « Moi et ma famille, nous servirons le Seigneur » (Josué 24, 15). Certains diocèses et provinces ecclésiastiques ont pris des dispositions pour célébrer cet anniversaire. Un exemple : la province ecclésiastique de Kampala (Masaka, Kiyinda-Mityana, Kasana-Luweero, Lugazi et Kampala) le célébrera le 15 novembre 2024 à Munyonyo. L’archidiocèse lui-même a organisé une pérégrination des reliques de Charles Lwanga et de Matia Mulumba dans toutes les paroisses de l’archidiocèse, sous le thème : « Nous, les baptisés, cheminons ensemble dans la communion, la participation et la mission, sur les traces des martyrs ougandais ».
Les saints de l’Église nous rappellent notre vocation commune en tant qu’êtres humains créés à l’image de Dieu (Gn 1, 27) et en tant que baptisés : « Soyez saints comme notre Père céleste est saint » (Lévitique 11, 44 ; 1 Pierre 1, 15-17). La visibilité de cette sainteté est dans les œuvres de miséricorde : « Soyez miséricordieux comme votre Père est miséricordieux » (Lc 6, 36).
La canonisation des martyrs ougandais nous rappelle l’universalité (catholicité) de l’Église et de la sainteté. Elle nous rappelle que la « sainteté » n’est pas le monopole d’une race, d’une tribu ou d’une nationalité. Elle confirme l’enseignement de saint Pierre selon lequel : « Dieu ne fait pas de favoritisme, mais quiconque, de quelque nationalité qu’il soit, qui craint Dieu et fait ce qui est juste, lui est agréable » (Actes 10, 34-35 ; Romains 2, 11).
La journée du 18 octobre doit donc être célébrée chaque année comme un jour d’espoir pour que nous puissions nous aussi être saints comme notre Père céleste est saint. Les martyrs ougandais sont un signe de cette espérance.
Le chemin des martyrs vers la canonisation
Les martyrs ougandais ont été béatifiés en 1920, 34 ans après l’holocauste de Namugongo. Il a fallu attendre 44 ans pour qu’ils soient canonisés en 1964. Ces 44 années entre leur béatification et leur canonisation ont été une grande épreuve pour la foi des croyants, mais surtout pour ceux qui avaient été chargés de promouvoir la dévotion des martyrs et de prier pour des miracles par leur intercession.
Puis, tout d’un coup, Dieu a fait venir le pape Jean XXIII ! Il fut pape du 28 octobre 1958 au 3 juin 1963. C’est grâce à lui que le dossier des martyrs béatifiés, qui avait été mis de côté pendant près de quarante ans, a été rouvert en 1958 et que, dans les six ans, les martyrs ont été canonisés par son successeur, le pape Paul VI, le premier pape à visiter l’Afrique au sud du Sahara. Cette visite a eu lieu en Ouganda du 31 juillet au 2 août 1969.
Le moment de la canonisation des martyrs ougandais a été choisi par Dieu. C’était pendant le Concile Vatican II. C’était aussi l’époque où de nombreux pays africains devenaient indépendants. L’Ouganda lui-même a obtenu son indépendance en 1962. Dans l’homélie qu’il a prononcée lors de la canonisation, le pape Paul VI a déclaré : « L’Afrique est renée libre : L’Afrique est née à nouveau libre ». Ce message faisait écho à l’esprit de Vatican II, considéré comme l’occasion d’une renaissance de l’Église, « l’ouverture des fenêtres de l’Église pour laisser entrer de l’air frais ».
Alors que nous célébrons le jubilé de diamant de la canonisation de ces martyrs, nous devons nous demander dans quelle mesure le continent africain a connu une véritable renaissance au cours de ces soixante dernières années. Comment les martyrs ougandais/africains ont-ils été une source d’inspiration et un défi pour les chrétiens, hommes et femmes, dans la promotion de cette liberté dont rêvait le pape Paul VI ? Sachant que ce rêve est loin d’être une réalité dans de nombreuses régions d’Afrique, comment pouvons-nous profiter de ce 60ème anniversaire de leur canonisation pour rêver à nouveau, avec le défunt pape Paul VI, aujourd’hui devenu saint, d’une véritable renaissance et d’une liberté de l’Afrique ?
L’Ouganda : Perle de l’Afrique et terre des martyrs
Les Ougandais sont souvent fiers de qualifier leur patrie de « Perle de l’Afrique », un titre qui lui a été attribué par Winston Churchill (1874-1965 ; ancien premier ministre du Royaume-Uni) lors de sa visite en Afrique en 1907. Ceux qui ont beaucoup voyagé et visité d’autres pays africains seront d’accord avec Churchill sur la beauté de notre pays. Le défi que les Ougandais doivent relever aujourd’hui est d’embellir leur pays. Malheureusement, il semble que nous fassions le contraire sur de nombreux fronts !
En 1963, l’année précédant la canonisation des martyrs ougandais, Sœur Marie André du Sacré Cœur (SMNDA) a écrit un livre intitulé : « Ouganda, terre de martyrs ». Un autre attribut précieux donné à notre mère patrie, l’Ouganda !
L’Ouganda, « la perle de l’Afrique », attire chaque année des milliers de touristes et le tourisme est l’une des principales sources de notre revenu national. Cependant, il ne fait aucun doute que l’Ouganda est surtout connu du monde extérieur grâce à ses martyrs noirs ! Trois papes sont venus dans ce pays, non pas en tant que touristes, mais en tant que pèlerins au pays des martyrs noirs ou des martyrs africains, comme ils les appelaient également.
Chacun de ces trois papes a « embrassé le sol de notre patrie pour y planter un baiser spécial de paix », en raison du sang des martyrs qui l’a arrosé ! Aujourd’hui, il n’y a pas de fête ou d’événement dans ce pays qui rassemble une foule aussi grande et aussi internationale que celle de la Journée des Martyrs, le 3 juin !
Méditant sur l’Ouganda, « Perle de l’Afrique et Terre des Martyrs », le pape François a dit ceci :
« L’Ouganda a été arrosé par le sang des martyrs, des témoins. Aujourd’hui, il est nécessaire de continuer à l’arroser pour de nouveaux défis, de nouveaux témoignages, de nouvelles missions. Sinon, vous allez perdre la grande richesse que vous avez. Et la « Perle de l’Afrique » finira par être exposée dans un musée. » (Lubaga, 28 novembre 2015)
Ce constat du Saint-Père est pour nous une véritable matière à réflexion et à prière !
La Guilde des martyrs de l’Ouganda
La Guilde des Martyrs de l’Ouganda (Association), fondée par l’évêque Henry Streicher, M. Afr., a été officiellement reconnue par Rome en 1930. C’est l’une des rares associations d’action catholique née sur le sol de l’Ouganda. Son objectif était de poursuivre la mission d’évangélisation des martyrs ougandais, en visant notamment à renforcer la vie familiale catholique et à réhabiliter la morale et les valeurs sociales.
Malheureusement, cette guilde est restée en sommeil pendant de nombreuses années et est inconnue de nombreux catholiques ougandais d’aujourd’hui ! Nous constatons ependant avec joie que ces dernières années, certains responsables d’Église et fidèles laïcs ont souhaité faire revivre cette association comme l’un des moyens d’impliquer les chrétiens dans la « nouvelle évangélisation ». Nous sommes encore plus interpellés et encouragés par les Chevaliers de saint Matia Mulumba au Nigeria, association très vivante et active qui tire son inspiration de son saint patron.
Chaque année, autour du 3 juin, un « GRAND INCENDIE SPIRITUEL » des martyrs ougandais brûle dans notre pays et à l’extérieur. Pendant cette période, les télévisions, les radios, les journaux, les homélies, etc. nous rappellent bruyamment l’histoire des martyrs ougandais. Mais qu’advient-il de ce grand feu après le 3 juin ? N’est-il pas triste de constater que ce feu s’éteint immédiatement après le 3 juin ?
En Luganda, nous avons un proverbe qui dit : « Oguliko omuseesa, teguzikira » (Le feu qui a un tisonnier [agitateur] ne s’éteint pas). Une partie de la mission de la Guilde des martyrs ougandais ressuscitée consisterait à veiller à ce que ce feu allumé autour du 3 juin reste allumé jusqu’au 3 juin suivant. Ses membres seraient les « pokers » (abaseesa) de ce grand feu annuel du 3 juin. La renaissance de cette guilde/association dans tous nos diocèses serait non seulement un souvenir très significatif de ce 60ème anniversaire de la canonisation des martyrs ougandais, mais aussi un cadeau précieux offert à ceux que nous appelons fièrement nos ancêtres dans la foi.
La canonisation : une source de joie, d’inspiration et de défi
Le message clé des réflexions faites par les différents Missionnaires d’Afrique sur les martyrs ougandais, leur martyre, leur béatification et leur canonisation, est bien exprimé dans ce proverbe Luganda qui dit : « Ne gw’ozaala akukubira eηηoma n’ozina » (Même votre enfant peut battre le tambour pour vous pendant que vous dansez). La canonisation des martyrs ougandais est pour nous, et pour l’Église en Afrique, une source de joie et d’inspiration, mais aussi un défi.
Le père Siméon Lourdel Mapeera, qui a bien connu ces martyrs, en a baptisé la moitié et les a bénis alors qu’ils quittaient Munyonyo pour Namugongo, a écrit ces mots lorsqu’il a reçu la dépouille de Charles Lwanga, cinq mois après l’holocauste :
« Nous prions pour que ces précieuses reliques de l’un des premiers martyrs ougandais nous inspirent et nous insufflent un nouveau courage et un nouvel enthousiasme pour travailler à la conversion de ces gens et nous rappellent que Dieu, s’il le veut, peut faire naître des enfants pour Abraham à partir de pierres (Mt. 3, 9) » (Nalukolongo – 4 novembre 1886).
Notre fondateur, le cardinal Lavigerie, avant même que la cause de leur béatification ne soit présentée à Rome, invitait nos prédécesseurs à « admirer et imiter leur courage ». À l’occasion de leur béatification en 1920, le supérieur général, Mgr Léon Livinhac, également père fondateur de l’Église catholique en Ouganda, écrivait : « La béatification des martyrs de l’Ouganda annoncera un renouveau spirituel notable dans la vie surnaturelle de notre Société ; le commencement, pour ainsi dire, d’une nouvelle ère de piété, de zèle, de générosité et de régularité, remarquable, par conséquent, par de saints travaux qui donneront une grande gloire à Dieu et lui apporteront des milliers d’âmes ».
Puis, à l’occasion de leur canonisation en 1964, le Supérieur général, le père Leo Volker, écrivait : « Peu d’événements ont été chargés d’une telle signification pour la Société et toutes les Missions africaines… » Dans la même lettre, il reprenait mot pour mot la citation de Mgr Livinhac citée plus haut. Parlant de la joie que cette canonisation allait apporter aux missionnaires et à l’Église en Afrique, il a écrit :
« Néanmoins, cette joie abondera surtout dans l’Église africaine, et en particulier dans l’Église de l’Ouganda. C’est à juste titre que nous, les Pères Blancs, y aurons notre part, étant en toute humilité légitimement fiers que la divine Providence ait choisi d’utiliser notre Société pour faire naître dans la Foi les âmes de ces Martyrs. Notre joie nous apportera un courage renouvelé et une confiance accrue dans l’avenir de l’Eglise africaine. Si les chrétiens de la première génération, moins de sept ans après l’arrivée des premiers missionnaires, ont pu, avec la grâce de Dieu, verser leur sang pour la foi chrétienne, qui doutera des merveilles que la même grâce peut opérer aujourd’hui dans les âmes de leurs frères ?
Ces réflexions de nos prédécesseurs nous invitent, avec l’Église d’Afrique, à faire des martyrs la source de notre joie et de notre inspiration, mais aussi à voir en eux le défi d’être plus courageux et plus zélés dans notre travail missionnaire. À la veille de la canonisation, le père Leo Volker a fait remarquer que : « en toute humilité, il est légitime d’être fier que la divine Providence ait choisi d’utiliser notre Société pour faire naître dans la foi les âmes de ces martyrs ». Qu’est-ce que cette remarque implique aujourd’hui pour notre Société et notre Mission ?
Les Missionnaires d’Afrique en Ouganda ont le privilège d’être les gardiens de deux sites clés liés aux martyrs ougandais : Nabulagala où la majorité des martyrs ont commencé leur catéchisme et où quatre d’entre eux ont été baptisés : Joseph Mukasa Balikuddembe, Andrew Kaggwa, Mathias Mulumba et Luka Baanabakintu ; c’est aussi le lieu de repos de leurs pères spirituels, les missionnaires pionniers en Ouganda. Et Namugongo où le chef des « Abasomi » (chrétiens), Charles Lwanga, a été martyrisé et qui est aussi devenu le signe et le symbole par excellence de tous les martyrs ougandais. Dans l’Église, les privilèges s’accompagnent d’un fardeau de service et de responsabilité. Quel service et quelle responsabilité spécifiques ce privilège confère-t-il à notre Société en général et aux confrères qui y sont nommés ?
Par: Richard Nnyombi, M.Afr.