Carême 2017 – Carême d’union

Herman Bastijns, MAfr

Quand nous étions petits, nos parents et nos catéchistes nous invitaient à choisir un point de carême : un effort ou un sacrifice à faire, comme ne pas manger de bonbons, ou en manger moins. Plus tard l’accent fut déplacé du sacrifice au partage. Et je crois que le passage du carême de privation au carême de partage fut un progrès. Aujourd’hui encore, mon réflexe spontané au début du carême est de me demander : Que vais-je faire pour mon carême?

Il y a bien des raisons pour recommander le jeûne. Mais la principale est bien que Jésus lui-même à jeûné au désert pendant quarante jours. Or je m’aperçois que Jésus ne s’est pas approché de Dieu parce qu’il jeûnait, mais qu’il jeûnait parce qu’il était si proche de son Père. Tout entier à la révélation dont il venait d’être gratifié dans son baptême, il éprouvait le besoin de se retrouver seul et dépouillé de tout, un certain temps. Le désert n’était pas pour lui le vide mais le lieu d’une rencontre, et son abstention de nourriture le fruit d’une union ineffable et d’une joie spirituelle surabondante. Pour Jésus, l’ascèse ne fut pas la cause, mais le fruit de l’union.

Cette lumière, je voudrais l’approfondir en regardant saint Paul.

Ce qu’on appelle communément la “conversion” de Paul sur le chemin de Damas, n’est pas à proprement parler une conversion dans le sens d’un passage de l’infidélité a la foi ou d’une vie dissolue à une vie vertueuse. Paul était un Juif pieux et il était moralement et religieusement irréprochable. Avant sa rencontre avec le Ressuscité il n’était que trop vertueux et ne cherchait que trop la justice par les œuvres de la Loi. La rencontre soudaine et bouleversante avec Jésus ressuscité fait passer Paul d’un Dieu qu’il voulait saisir et posséder à la fulgurance d’un Dieu qui s’est saisi de lui. Le résultat en était une transformation totale du cœur de Paul et de sa vision du monde.

Du coup, les efforts qu’il a déployés pour être fidèle à la loi sont désormais vains. Ga 1,14. La justice qu’il cherchait si passionnément, c’est le Christ et rien d’autre. Paul découvre qu’il ne peut être justifié que par et dans le Christ. Car la Loi qu’il cherchait scrupuleusement à observer est à la fois sainte et maudite, et cela pour trois raisons. D’abord, elle instaure dans l’homme un schizophrénie destructrice : “Je ne fais pas le bien que je veux et commets le mal que je ne veux pas.” Rm 7, 15-19. Ensuite elle contribue à la rupture de la fraternité humaine. C’est surtout le cas quand l’observance de la Loi devient une occasion de jugement ou de condamnation des autres Rm 2,1 ss. Enfin, à trop mettre sa confiance dans sa propre observance, on finit par ne plus avoir besoin de Dieu et on finit même par tuer Dieu en refusant de reconnaître en Jésus Christ la “fin de la Loi” et l’inauguration du Royaume de la grâce et de l’Esprit.

Il en résulte une dépossession de ses propres œuvres et même une dépossession de sa propre vie : “Pour moi, vivre, c’est le Christ” Ph 1, 21. Paul sait ce que signifie “compter sur les œuvres”, et il s’en méfie désormais à tel point qu’il compte plus sur sa faiblesse que sur sa force Et, loin de considérer sa pauvreté personnelle comme un obstacle à sa mission, il la considère comme un atout majeur de son apostolat afin, dit-il, que votre foi ne soit pas fondée sur la sagesse des hommes, mais sur la puissance de Dieu. 2Co 2,3-5. “Quand je suis faible, c’est alors que je suis fort.” 1Co 12, 10

Tout cela est très beau, mais on ne peut s’empêcher de se poser la question : Ne faut-il donc plus faire d’effort ? Faut-il se laisser aller, jusque dans l’immoralité ? La question est vieille et toujours actuelle.

Elle opposait déjà saint Augustin à Pélage, qui y voyait une source d’idées dangereuses pour la morale: si l’on promet aux humains qu’ils seront portés à la vertu par pure grâce, ne risquent-ils pas de négliger les efforts nécessaires pour l’atteindre ?

Plus tard, la Contre Réforme reprocha à Luther sa doctrine de la Sola Fides, comme si la foi excluait les œuvres. En fait, Luther soutenait que la théologie s’était trompée précisément au moment où elle avait commencé à confondre la Loi et l’Évangile (l’exigence de Dieu et le don de Dieu) en proclamant que les hommes peuvent mériter ce qui ne peut être que le don inconditionnel de la grâce de Dieu.

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