Depuis la fondation des Missionnaires d’Afrique, notre fondateur, le cardinal Lavigerie voulait que la Société soit non seulement internationale, mais surtout catholique au sens propre du terme. Il voulait une Société composée de personnes d’origines différentes pour manifester l’universalité du message de l’Évangile et la catholicité de l’Église. Lavigerie voulait des missionnaires de différents pays rassemblés dans un esprit de corps, vivant et travaillant ensemble dans des communautés internationales, unis dans leur amour et leur passion pour l’Afrique. Notre caractère interculturel nous définit comme missionnaires d’Afrique. Lavigerie a vivement souhaité que toutes les communautés missionnaires d’Afrique reflètent cet aspect de notre charisme.
Conscient que, dans l’Europe de son temps, les différents États-nations subissaient le flot croissant du nationalisme, son option bien définie pour les communautés internationales était un geste prophétique. Avec le temps, la Société s’est répandue hors d’Europe attirant aussi des membres d’autres continents et devenant ainsi intercontinentale et interculturelle. Notre dernier Chapitre général en 2016 le confirme en stipulant que «nous sommes une Société missionnaire interculturelle avec un esprit de famille». Cependant, il ne suffit pas de réunir des personnes de cultures différentes pour avoir des communautés interculturelles. Cela exige un effort conscient d’appréciation, d’acceptation et de respect des différences. Lavigerie a insisté sur le fait qu’il ne garderait pas un membre de la Société qui n’aime pas tous ses confrères, peu importe leur nationalité. La vie communautaire interculturelle est déjà une vraie proclamation de la Bonne Nouvelle.
On aurait pu croire que notre monde devenant un village mondial, grâce aux moyens modernes de communication et de transport, les différences culturelles seraient transformées, sinon subsumées, en un tout unifié, que les divergences auraient convergé, et que l’unité perdue de l’humanité aurait été récupérée. Toutefois, cela n’a pas été le cas. Les forces de la mondialisation n’ont fait que renforcer et non affaiblir la cause de la dimension culturelle de la vie sociale. La mondialisation n’a pas réussi à éliminer les différences culturelles, en fait la culture façonne, modèle et continue d’influencer les identités personnelles et sociales. Même si l’on peut enlever une personne de son milieu culturel, on ne pourrait pas lui enlever sa culture.
Bien que la dimension intergénérationnelle soit un élément important de la question, les difficultés de la vie interculturelle sont plus souvent des questions de malentendus culturels. Ils proviennent des préjugés, des stéréotypes, des systèmes de valeurs, du langage et sont souvent très liés à la gestion du temps et de l’espace, à la conception de l’autorité et du leadership. Ils peuvent aussi se manifester par des tendances nationalistes, par la xénophobie et autres formes d’exclusion ; cela peut être conscient ou inconscient ! Ces difficultés ne sont pas insurmontables, et peuvent être dépassées par un esprit d’ouverture et de dialogue. Dans un monde porté à la violence, aux conflits et aux divisions, la vie communautaire interculturelle est une grande source d’inspiration pour une vie harmonieuse. En ce qui concerne la mission évangélisatrice de l’Église, les communautés interculturelles seront un atout majeur pour le témoignage des valeurs évangéliques dans notre monde d’aujourd’hui. Dans sa lettre aux consacrés, le pape François les incitait à être « experts en communion ».
La bonne volonté seule n’est pas suffisante pour rassembler des personnes d’origines culturelles différentes dans une vie communautaire viable, car si le Seigneur ne bâtit la maison, en vain travaillent bâtisseurs. Il faut être enraciné dans l’amour du Christ et guidé par le Saint-Esprit dans une attitude profonde de discernement. Elle implique la mise en pratique de la spiritualité de communion. Une spiritualité qui, selon les paroles du pape Benoît XVI dans Africae Munus (35), insiste sur «la capacité de percevoir la lumière du mystère de la Trinité sur le visage des frères et des sœurs qui sont à nos côtés; se montrer attentif, dans l’unité profonde du Corps mystique, à son frère dans la foi, le considérant donc comme “l’un des nôtres”, pour partager ses joies et ses souffrances, pour deviner ses désirs et répondre à ses besoins, pour lui offrir une amitié vraie et profonde; être capable en outre de reconnaître ce qu’il y a de positif dans l’autre pour l’accueillir et le valoriser comme un don que Dieu me fait à travers celui qui l’a reçu, bien au-delà de sa personne qui devient alors un intendant des grâces divines; enfin savoir «donner une place» à son frère, en portant «les fardeaux les uns des autres» (Ga 6, 2) et en repoussant les tentations égoïstes qui continuellement nous tendent des pièges et qui provoquent compétition, carriérisme, défiance, jalousies».. C’est une spiritualité qui nous aide à passer de la concurrence à la complémentarité par la solidarité.
Dans le contexte du discernement communautaire, nous pouvons être appelés à nous surpasser et à nous adapter en tenant compte de nos sensibilités différentes. Cela pourrait être relié à notre façon d’accueillir les gens ou de prier ensemble ou une question de modifier nos habitudes alimentaires. Il se peut aussi que dans un pays anglophone le manque de nouvelles des pays francophones amène les membres de la communauté à choisir un moment pour regarder une chaîne de télévision francophone pour obtenir cette information. Il va sans dire que l’attention portée aux besoins les uns des autres est un élément important pour une bonne vie communautaire interculturelle.
Il n’y a pas de communauté parfaite puisque la vie communautaire est un processus continu qui exige une participation de qualité de chaque membre. Les expériences partagées dans cette édition du Petit Echo peuvent nous inspirer dans nos efforts pour construire ensemble des communautés témoins interculturelles.
Ignatius Anipu
Assistant général
Petit Echo n° 1079