Homélie de Mgr Claude Rault pour le 8 mai
Bonne fête des Bienheureux martyrs d’Algérie. Les chanceux de la rue Friant à Paris, ont eu droit à une homélie de Monseigneur Claude Rault qui a connu personnellement tous les martyrs. Voici son homélie.
Il se trouve que par le mystère de l’histoire, j’ai connu presque tous les membres de l’Église d’Algérie dont nous célébrons la mémoire aujourd’hui. Certains davantage, d’autres assez peu.
A plusieurs reprises, j’ai pu travailler avec l’évêque Pierre dans le cadre de la Conférence Episcopale, et il est venu plusieurs fois dans le Diocèse du Sahara lorsque j’étais vicaire général. C’était un homme passionné et passionnant. Ses lettres régulières pendant la « décennie noire » en ont vite fait une cible potentielle et des islamistes armés et des forces de sécurité. Il savait les risques qu’il prenait.
J’ai été aussi assez proche de Christian Chessel, Jean chevillard, Alain Dieulangard et un peu moins Charlie Deckers.
Bien connu aussi dans le Ribât, le Lien de la Paix, le Fr. Henri Vergès (l’une des premières victimes), moins Sœur Paule Hélène qui travaillait avec lui.
Sr Odette venait régulièrement au même groupe de partage spirituel. J’allais parfois célébrer l’Eucharistie à leur petite fraternité en milieu populaire.
Depuis le début des années 70, je fréquentais le monastère de Tibhirine et avais noué un lien assez fort avec le Fr. Christian futur Prieur. Le Fr. Luc, médecin haut en couleurs, m’avait soigné à quelques reprises.
Srs Angèle-Marie et Bibiane m’étaient presque inconnues.
J’avais une fois ou l’autre rencontré Sr Esther qui soignait un de mes amis dans un hôpital d’Alger où elle travaillait. Et un peu sa sœur de communauté Caridad.
Je ne vais pas retracer leur trajectoire, mais vous dire comment j’ai pu vivre leur cheminement vers la béatification.
Dès le début, lorsque l’archevêque Henri Teissier a fait faire les enquêtes en vue d’une éventuelle béatification, je faisais partie de plusieurs « résistants » à cette procédure. J’étais alors provincial du Maghreb. Au moment où nos compagnons de Tizi étaient assassinés en fin décembre 94, d’autres de nos compagnons Pères Blancs, en particulier en Afrique Centrale, avaient payé de leur vie leur attachement au Christ et au pays dans lequel ils avaient choisi de rester. En fait ils avaient subi le même sort. Alors pourquoi nos Frères de Tizi Ouzou auraient-ils pu être distingués de ceux-ci ?
Par ailleurs… j’avais suffisamment connu les uns et les autres pour constater qu’ils n’étaient pas des héros ! Leur vie communautaire n’était pas un grand fleuve tranquille. Et puis, en soi, la personnalité de chacun ne tranchait pas de façon vraiment extraordinaire et au niveau du caractère et au niveau du comportement. Pierre Claverie, tout brillant qu’il était, avait ses emportements, le Fr. Christian de Chergé ses crispations, nos confères de Tizi Ouzou leurs problèmes personnels et communautaires… comme vous et moi ! Et parfois les Moines encore plus… ! Voilà, j’ai fait l’avocat du Diable !
Au fur et à mesure que l’enquête avançait, nous pouvions voir qu’au fond ce n’était pas leur « exemplarité » qui était en jeu mais le sens d’une Eglise engagée au milieu d’un Peuple.
Cela transparaissait par le don de leur vie en lien avec des musulmans et des musulmanes qui avaient fait le don de la leur par fidélité à Dieu et par fidélité à leur peuple. Les membres de l’Église d’Algérie avaient donné la leur dans la ligne d’une même fidélité.
L’enquête finie, le risque était de voir chaque Congrégation présenter ses « candidats » à la Béatification en rangs séparés. Les Pères Blancs étaient peu enclins à le faire. Et peu à peu émergeait la vision d’une Eglise unie, se reconnaissant dans ces vies données et désirant les voir « béatifiés » non pas au sein de telle ou telle famille religieuse mais comme faisant partie de l’ Eglise, Corps du Christ, qui avait décidé de demeurer au sein de ce peuple en souffrance, par solidarité avec lui.
« Ce n’est pas parce que ma femme a perdu la tête que je vais la quitter ! » répondait à un journaliste un Petit Frère de Jésus.
Et peu à peu la « cause » avançait. La signature de la Béatification par le Pape était imminente. Où pourrait-elle avoir lieu ? Nous ne voyions pas comment ce pourrait être ailleurs qu’en Algérie ! C’est ainsi qu’évêques nous nous sommes retrouvés dans le bureau du Ministre des Affaires Religieuse.
Nous voulions y associer les nombreuses victimes de cette guerre civile, à commencer par les 113 Imâms qui ont donné leur vie au nom de leur foi en en Dieu qui refuse la violence. Et cela a pu se faire, ils ont été reconnus comme patrimoine spirituel de l’humanité de ce peuple.
Ces réflexions m’ont beaucoup appris sur la sainteté.
Ceux que nous célébrons sont bienheureux ni en raison de leur héroïsme ni en raison de leur perfection. L’héroïsme est de l’ordre humain, et la perfection appartient à Dieu seul.
La sainteté est d’un autre ordre, elle est un don du Dieu Saint. Un don que Dieu nous fait à tous, il nous appartient de l’accueillir ou non. Cela se passe à l’intérieur de notre coeur.
Ceux qui sont déclarés saints ou bienheureux le sont comme un avant-goût de ce que nous pouvons être… avec la grâce de Dieu.
Etre déclaré officiellement « bienheureux » ou « saint » par l’Église est une appréciation qui viennent d’elle. On sait que sur ce point elle peut se tromper…
Ces hommes et femmes ont terminé leur course. Il étaient comme nous des êtres humains. Au nom de l’Amour ils ont risqué d’aller jusqu’au bout de cet Amour.
C’est à notre portée, comme à la portée de toute personne.
L’Amour du Père les a accompagnés jusqu’au bout de leur route, Il leur a été fidèle. Vêtus de robes blanches, ils se sont mystérieusement laissés attirer par cet Amour de Dieu qui n’a pas de limites.
Ils ont donné leur vie pour ceux qu’ils aimaient comme l’ont fait beaucoup d’autres anonymes, connus de Dieu seul.
Au fond, l’essentiel est de se laisser attirer par ce Amour. Et cela est à notre portée à tous. Etre inscrit sur la liste des Bienheureux appartient aux hommes. Etre inscrit dans le Livre de Vie n’appartient qu’à Dieu. Mais nous devons nous le souhaiter les uns aux autres.
+Claude Rault. MAPB