Idéal missionnaire : continuité ou rupture ? (PE n° 1093 – 2018/07)

Avec ce mois de juillet, nous entamons la seconde moitié de notre dernière année préparatoire du jubilé des 150 ans dont le thème nous invite à « regarder l’avenir avec espérance. » Dans les différentes provinces et sections les comités de coordination s’activent à nous faire vivre une année de renouvellement tant spirituelle, structurelle que missionnaire. Juillet est aussi le mois de la publication des nominations qui nous rappellent notre engagement initial, notre disponibilité et notre générosité au service de la mission.

C’est à la lumière de ces éléments que je voudrais introduire ce numéro du Petit Echo à partir d’une question qui a orienté la réflexion et le partage de nos confrères, il y a 50 ans à l’occasion de la célébration du centenaire de notre existence : « Comment jugez-vous l’évolution de la Société ? D’après vous, y a-t-il continuité ou rupture dans la façon de vivre l’idéal missionnaire ? Quels sont vos espoirs et vos craintes pour l’avenir ? » Cette question nous invite à réfléchir sur la manière dont l’intuition de notre fondateur s’incarne, s’inculture et s’actualise au fil des ans.

La question de 1968 est aujourd’hui encore actuelle. Nous pouvons la reprendre à notre compte. Combien de fois ai-je entendu des confrères dire : « Je ne reconnais pas la Société dans laquelle je me suis engagé » ?

Deux thèmes du programme de formation au leadership : Faith and Praxis, the International Leadership Development Programme, que le Conseil général a suivi avec huit autres congrégations en 2017 et 2018, m’ont inspiré dans mon approche de la question. Le but du programme était « de stimuler et d’habiliter les membres des Conseils généraux pour qu’ils puissent mieux travailler dans leur contexte, dans une approche de foi, avec leur équipe et leur congrégation, pendant le temps de leur mandat, au service du développement intégral des personnes et de la société ». Le premier thème est l’aspiration du fondateur et le second, de la Source à l’Océan.

L’exploration de l’aspiration de notre fondateur, représentée comme une source qui se développe en rivière et coule vers l’océan, m’a permis de mieux comprendre l’évolution de notre Société missionnaire. Il y a plus de 150 ans, alors évêque de Nancy, Lavigerie fait l’expérience d’une rencontre profonde avec Dieu qui allait transformer sa vie de manière radicale. Nous situons cette expérience à l’occasion de son pèlerinage au tombeau de St Martin de Tours en qui il trouvait l’image achevée du pasteur, du moine et du missionnaire. La nuit de ce pèlerinage, il eut un songe. Dans un pays inconnu et lointain, se sont présentés à lui des êtres humains de couleurs brune et noire. Presqu’au même moment, on lui annonçait la mort de Mgr Pavy, évêque d’Alger et la proposition de Mac-Mahon d’occuper le siège épiscopal d’Alger devenu vacant. Mgr Pavy lui avait dit un jour en lui remettant une image avec sa devise : « A vous de témoigner partout de la nécessité d’abandonner l’Islam pour la loi du Seigneur ». En mettant toutes ces expériences ensemble : la devise de Mgr Pavy, évêque d’Alger ‘je ne mourrai pas, je vivrai’ ; St Martin de Tours, l’image achevée du missionnaire ; des êtres humains de couleurs brune et noire dans un pays inconnu et lointain, Lavigerie a saisi l’appel de Dieu qui a transformé sa vie en une aspiration profonde. La session nous a aidés à matérialiser cette expérience fondatrice comme une rivière, un fleuve, qui porte le charisme.

L’image de la rivière nous indique une direction et porte en elle l’idée de croissance. Comme la rivière qui part de la source vers l’océan en prenant diverses formes selon la géographie des lieux, s’adaptant aux différents obstacles, notre Société et le charisme qu’elle porte ont parcouru différents moments depuis la source, qui est l’intuition de notre fondateur, en interaction constante avec le contexte. Ils poursuivent leur chemin dans la perspective de la finalité que le Seigneur a inspirée à notre fondateur. Qui dit finalité dit direction, but, chemin. Fixer le regard sur la finalité nous sort du monde de la signification et nous plonge dans celui du sens. Un de mes professeurs, il y a quelques années, avait fait la distinction entre ces deux mots qui m’avait beaucoup frappé. Je m’en inspire pour soutenir l’idée de finalité et de but. La signification a une intention limitative. Quand on parle de la signification d’un mot, elle se détermine à l’intérieur du jeu linguistique. Un mot a une signification quand il tend vers les autres mots pour s’autolimiter et se distinguer d’eux. Le sens, cependant, porte vers une transcendance, vers un horizon. Le sens fait faire un mouvement vers un but qui en est la finalité. Ce mouvement est d’abord spirituel. Le monde de la signification est celui de l’immanence qui nous enferme dans le quotidien et dans la gestion des urgences. Le risque que nous encourons en tant que Société missionnaire est celui de nous enfermer dans le monde de la signification qui ne nous projette pas vers une finalité, vers un horizon, mais nous fait tourner en rond autour de nos problèmes et soucis de personnel, de finances, d’intégrité et d’oublier ce pourquoi nous avons été fondés : la mission.

Notre aspiration aujourd’hui comme Société exprime son espérance dans le thème de cette année préparatoire du jubilé et se veut une interprétation créative de l’aspiration de notre fondateur. Elle nous oriente vers une finalité qui est source d’énergie pour la Société et pour chacun de ses membres. Le Conseil général, à l’occasion de la formation au leadership, a, dans un exercice, représenté l’évolution de notre Société missionnaire à travers deux images. Il y a d’abord celle d’une barque qui fait son chemin dans les eaux, souvent profondes, parfois superficielles, d’une rivière qui coule vers l’océan. Dans la barque les passagers se renouvellent. Il y a ceux qui descendent et ceux qui montent. Le 2 février 1869, les trois qui revêtirent pour la première fois l’habit blanc, Charmetant, Deguerry et Bouland étaient tous Français. Mais très tôt d’autres se joignirent à eux.  Un Allemand, en la personne du Fr Hieronymus (Karl Baumeister), reçut l’habit blanc des mains du cardinal lui-même le 16 mai 1870 déjà. Ensuite ce fut le tour de la Belgique avec le Père Camille Van der Straeten qui prit l’habit en 1879. Les Pays-Bas en 1880. La première entrée du continent américain fut un canadien en 1886, puis il eut les Africains et ensuite les Asiatiques (Indiens et Philippins). Aujourd’hui, nous contemplons la possibilité d’une animation missionnaire et vocationnelle au Vietnam. Pourquoi pas si c’est ce que le Seigneur attend de nous. Au niveau pastoral, il y a de nouvelles insertions à la PEP et aux AMS qui correspondent à notre charisme. Eh oui, la Société change de visage, mais elle reste dépendante de la source.

La deuxième image choisie par le Conseil général est celle de la carte d’Afrique remplie de visages humains exprimant différents sentiments et émotions. Ces visages de couleurs brune et noire sont ceux qui appelaient le cardinal à leur service. Elle nous rappelle que l’Afrique demeure notre point de départ à partir duquel nous faisons rayonner notre charisme. Lavigerie lui-même ne disait-il pas que l’Afrique est l’objet constant de nos pensées, de notre dévouement et de nos prières ? La carte est colorée aux couleurs des cinq continents qui symbolisent l’ouverture et la disponibilité aux signes des temps. Regarder l’avenir avec espérance, c’est rester connecté à la source dans une fidélité créative et croire en Celui qui appelle, envoie et donne les moyens d’accomplir la mission.

Didier Sawadogo
Assistant Général

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