Le carême, un chemin de libération ?

Vous aimez entrer en carême ? Moi pas. En tout cas, pas spontanément. Entendre parler pendant 40 jours de conversion, de pénitence, de jeûne, de mise en question de mon style de vie, de partage matériel, et avec tout ce violet dans la liturgie, si tristounet… tout cela ne m’attire vraiment pas et je m’en passerais bien.

Pourtant, si je fais l’effort de m’arrêter un instant et de réfléchir, je suis bien obligé de reconnaître que j’en ai besoin. Nous avons bien profité des fêtes de fin d’année, nous avons repris le ronron du temps ordinaire (dont on nous dit qu’il faut le vivre « de façon extraordinaire » !) et les petites routines ont commencé à retrouver leur place. Avec ce risque qui nous menace toujours : la médiocrité et le manque de créativité.

Alors, allons-y. Mettons-nous en route ! Il me semble que ces derniers temps on nous parle de plus en plus de chemin à parcourir.  Le pape François, par exemple, dans sa lettre pour le carême de cette année nous parle de traversée du désert et de libération. Tout récemment, dans l’invitation à nous préparer pour l’année jubilaire de 2025, le thème proposé est : « Pèlerins d’espérance sur un chemin de paix ». Donc, il faut se bouger : comme un pèlerin sur un chemin. Et puis comme en pointillés à travers tout cela, le chemin synodal que nous avons commencé depuis de nombreux mois et où nous nous trouvons entre deux célébrations… donc toujours en route. Pas facile de s’installer quand on est chrétien ou missionnaire dans notre Eglise catholique. Je retiendrai ici les 2 premières propositions.

À travers le désert Dieu nous guide vers la liberté

Voici le titre de la lettre du pape François pour ce carême. Il commence par la citation de l’Exode (20,2) : « Je suis le Seigneur ton Dieu, qui t’ai fait sortir du pays d’Égypte, de la maison d’esclavage ». Le projet est clair : notre carême est présenté comme un temps de désert et de libération. Le pape précise : « lorsque notre Dieu se révèle, il communique la liberté ». D’emblée, il insiste sur ce qui nous empêche de nous libérer : notre attachement à notre esclavage. Dans le désert, Dieu éduque son peuple et l’appelle vigoureusement à la liberté ; ce fut le long cheminement du temps de l’exode où le peuple a plusieurs fois résisté.

Mais nous aussi, aujourd’hui, nous sommes attachés à des liens contraignants qu’il nous faut choisir d’abandonner et qui sont souvent la conséquence d’un manque d’espérance. Nous savons que le désert n’est pas seulement le lieu de la tentation, mais aussi celui de la séduction divine (Osée 2,16-17). Le carême est le temps de la grâce où le désert redevient le lieu du premier amour, où le Seigneur nous rappelle ce qui nous a, un jour, mis en route : cette rencontre inoubliable avec son fils. Où est ton trésor ?

Si nous voulons être concret, dit le pape, il nous faut sortir de la domination de pharaon. Il nous rappelle les questions posées à Lampedusa à propos du souci des migrants : « où es-tu ? » (Gn 3,9), et « où est ton frère ? » (Gn 4,9). Il dénonce la culture de l’indifférence.

Il nous faut d’abord reconnaître que nous vivons dans un modèle de croissance qui nous divise, qui nous vole l’avenir, qui pollue la création et nos âmes. Est-ce que j’aspire à du nouveau ? Suis-je prêt à me libérer de mes compromis ? Nous vivons un défaut d’espérance qui est un obstacle au rêve, un regret de l’esclavage qui paralyse. C’est ce qui explique, selon lui, l’incapacité actuelle de vaincre les inégalités et les conflits dans le monde.

Il nous faut regarder nos idoles en face, notre besoin d’être reconnu, d’être valorisé et de dominer. Nous nous accrochons à des idoles comme l’argent, nos projets, nos idées, nos objectifs, notre position, notre tradition et parfois certaines personnes. Et cela finit par nous opposer entre nous. Mais heureusement, il y a des pauvres en esprit qui restent ouverts et prêts à avancer, « une silencieuse force du bien qui guérit et soutient le monde ». Ceux qui, comme le Dieu de Moïse, voient et entendent les cris du peuple en esclavage.

Le carême, c’est le moment d’agir ; en ces temps particuliers, agir c’est aussi s’arrêter, s’arrêter en prière pour accueillir Dieu, sa parole, s’arrêter en acte, comme le Samaritain en présence du frère blessé : l’amour de Dieu et du prochain sont inséparables.

Ici encore le pape nous bouscule. Puisque nous sommes sur un chemin synodal, le carême doit être un temps de décision communautaire, de petits et de grands choix à contre-courant, capables de changer la vie quotidienne des personnes et la vie d’un quartier. Il parle même de mise en question de notre style de vie : les habitudes d’achat, le soin de la création, l’inclusion de celui qui n’est pas visible, de celui qui est méprisé. Il invite chaque communauté à revoir ses priorités. Et comme par hasard, je découvre sa lettre, juste après avoir lu la dernière lettre de notre Conseil général (sur l’état des finances) qui nous interroge sur nos priorités et notre style de vie.

Dans la mesure où ce carême sera un carême de conversion, l’humanité égarée peut éprouver un sursaut de créativité : l’aube d’une nouvelle espérance. Le Pape rappelle ici son appel aux jeunes des JMJ à Lisbonne, en août 2023 : « cherchez et risquez, cherchez et risquez. À ce tournant de l’histoire, les défis sont énormes, les gémissements douloureux. Nous assistons à une 3e guerre mondiale par morceaux ». Mais, précise-t-il, ne vivez pas ce temps comme une agonie, mais comme un enfantement.

Pèlerins d’espérance sur le chemin de la paix

C’est le thème choisi par le pape pour le jubilé de 2025 où l’accent est fortement mis sur la réconciliation. Nous venons d’entendre nous dire que notre découragement vient souvent d’un défaut d’espérance. Ailleurs, il parle même de la lassitude de l’espérance, à propos des personnes, et particulièrement des consacrés, qui ne comprennent plus pourquoi elles s’épuisent ainsi dans un monde où le changement est trop rapide…

Que retenir de ce thème jubilaire pour notre carême ?

Ce jubilé s’inscrit aussi dans la démarche synodale

En effet, il est question de pèlerinage et de chemin. Pour le pape François, un chrétien est un pèlerin qui parcourt un chemin, ensemble avec d’autres, à la recherche de la volonté de Dieu.

Qui dit pèlerinage dit déplacement, peuple en marche. Un chrétien – encore moins un consacré – ne s’installe pas dans le confort du monde. Jésus nous a donné l’exemple d’une vie itinérante. Il n’avait pas de domicile fixe et résidait à certains moments à Capharnaüm dans la maison de Simon et André. Le reste du temps, il parcourait villages et bourgades pour annoncer la Bonne nouvelle. En outre, Jésus a toujours respecté la tradition juive du pèlerinage. Dès son enfance, à la Pâque, il montait avec ses parents en pèlerinage, depuis la Galilée jusqu’au temple de Jérusalem. L’Évangile raconte comment il était resté au temple à l’âge de 12 ans, alors que ses parents étaient déjà en route pour rentrer chez eux. Il y était resté pour mieux comprendre qui est son Père des cieux. Ceci nous montre que Jésus n’était pas seulement à la recherche des femmes et des hommes, mais aussi en quête de Dieu, prenant régulièrement du temps en tête-à-tête avec son Père pour se laisser inspirer sur sa mission.

Une question utile que nous pouvons nous poser en tant que missionnaire : est-ce que je conçois ma vie ici sur terre comme un pèlerinage ? Par exemple, le pèlerinage de ma vie depuis ma naissance jusqu’à ma mort. Ou le pèlerinage de ma foi et de mon engagement de missionnaire, où depuis le début de ma formation, d’étape en étape, je me rapproche du Seigneur et je cherche à lui appartenir toujours plus totalement. Ou bien le pèlerinage de mon apostolat qui me sort de la sécurité de mon presbytère ou de la maison de formation pour, sans cesse, partir à la rencontre des personnes qui me sont confiées. Parlant de la synodalité, le pape François dit : la rencontre est « un temps pour se tourner vers le visage et la parole de l’autre, pour le rencontrer en tête à tête, pour se laisser toucher par les questionnements des sœurs et des frères, pour s’aider mutuellement afin de nous enrichir de la diversité des charismes, des vocations et des ministères. Chaque rencontre – nous le savons bien –, demande de l’ouverture, du courage, de la disponibilité à se laisser interpeller par le visage et l’histoire de l’autre » (Homélie du 10 octobre 2021 au Vatican).

Il me semble que dans la dynamique de la synodalité, on ne peut séparer le pèlerinage de la rencontre, elle devient ainsi un chemin d’espérance et de paix. Le chemin de carême est chemin de libération.

Nous sommes aussi tous invités à être des pèlerins d’espérance en ce temps de carême

Le pape François a souvent parlé de l’espérance, nous exhortant à regarder notre existence avec un regard nouveau, surtout maintenant qu’elle est soumise aux nombreuses épreuves de notre monde, et à la regarder avec les yeux de Jésus, « l’auteur de l’espérance ». C’est lui qui nous aide à surmonter ces jours difficiles, « dans la certitude que les ténèbres se transformeront en lumière ».

En effet,  il me semble, quand il y a tant de raisons d’être pessimistes, et si peu de signes d’espoir autour de nous, que c’est dans la certitude que le Seigneur nous accompagne et aura le dernier mot, que nous puisons la force et le courage de continuer à nous engager dans nos apostolats. L’espérance est une façon de regarder la réalité d’un regard différent. C’est ce que nous disent les paraboles du grain de sénevé et du levain dans la pâte. Si nous nous limitons aux informations des médias, en regardant par exemple les nouvelles à la télévision ou sur notre Smartphone, ces jours-ci, nous sommes frappés par l’accumulation des ruines en Terre sainte, à Gaza, en Ukraine et dans toutes les guerres qui se poursuivent en Afrique… Mais si nous considérons dans la foi tous les gestes d’amour, de solidarité et de partage chez nos frères et sœurs, particulièrement les pauvres, les efforts de combat pour plus de justice et de paix de la part des chrétiens et des consacrés, ainsi que la confiance de tous ces jeunes en formation dans nos congrégations qui croient qu’un avenir meilleur est possible, alors notre espérance est nourrie.

A nous de jouer…

Que nous choisissions l’image de la traversée du désert en exode pour nous libérer de nos esclavages, ou celle du pèlerin d’espérance qui, partout où il passe, montre aux gens combien Dieu les aime, une question nous est posée en ce début de carême : « Sans vouloir me disperser dans un flot de bonnes résolutions utopiques et que je ne tiendrai pas, y a-t-il un domaine dans ma vie dont je me dis qu’il est pour moi un lieu de stagnation, de fatigue, de rumination, de diminution de mon espérance et de la qualité de mon amour ? ». Le pape François disait : agir en carême c’est aussi s’arrêter. Que ce soit dans une démarche personnelle ou dans le cadre d’une récollection communautaire (où nous n’aurions pas peur d’aborder franchement la dernière lettre du Conseil général), il est important que nous nous fixions un objectif réaliste et généreux, si nous ne voulons pas être surpris le matin du dimanche des Rameaux en nous exclamant : « Ah bon, c’est déjà la Semaine sainte ? ».

Saint et fécond carême à tous….

Par: Bernard Ugeux (M.Afr.)

Photos du chemin de croix de la paroisse St Francis, Lilongwe, Malawi (2022)

Laisser un commentaire