Père Jean Marie Leport « Piripori » (PE n° 1078)

Vous voyez cette belle photo ? Un vieux missionnaire d’Afrique qui dort en face du tabernacle de son église à Muyaga. En effet, à la fin de sa vie, le Père Jean Marie LEPORT, c’est son vrai nom, était très malade. Les médecins à Bujumbura avaient diagnostiqué un cancer de l’estomac inopérable, il avait 87 ans. Alors Piripori a demandé :  «  laissez-moi retourner à Muyaga pour mourir parmi les miens.» Le 14 septembre 1964, il s’endormait dans le Seigneur, après 61 ans de Burundi.

Qui est cet homme dont on disait : «  Piripori ? ni we yatanguye Uburundi. » (Le père Leport c’est lui qui a fait le Burundi.) Bien sûr, pas le Burundi des ancêtres de Mwezi Gisabo. Mais le Burundi chrétien, oui ! et combien !

J’aimerais évoquer pour vous cette belle personnalité missionnaire car il a été un modèle de missionnaire zélé, un missionnaire éclairé, un homme de prière et d’action, persévérant et courageux. Nous autres aujourd’hui, nous ne devons pas croire que Muyaga a toujours été ce qu’il est aujourd’hui.. Pensez donc : en 1900, deux ans après sa fondation, Muyaga comptait 16 chrétiens, 208 en 1908, 457 en 1910. Les débuts furent très lents, difficiles car la méfiance régnait.

Au début les Pères de Muyaga consacraient beaucoup de temps à l’installation et l’équipement de la station. Ils ne savaient pas trop comment s’y prendre avec les gens des environs. Piripori, lui, pensait qu’il fallait sortir, rayonner dans les environs et rencontrer les gens.

Une visite providentielle. En 1908, après dix ans, un envoyé du Supérieur général des Pères Blancs à Alger, le P. Mallet, est venu visiter les missionnaires et leur a donné beaucoup de conseils. Il leur dit, entre-autre, ce que Piripori pensait et disait à voix basse ; « sortez, rayonnez, prenez contact avec les gens. » A partir de ce moment-là et avec la bénédiction de ses supérieurs, Piripori se lança dans les courses apostoliques autour de la paroisse. Il va rencontrer les gens là où ils vivent, regroupés dans des replis de terrain fertile, accrochés aux grandes chaînes de montagnes comme le Birime. Ils fondent, ils multiplient les succursales et les confie à des chrétiens plus formés et plus éveillés. Bien encadrés, visités régulièrement, ces chrétiens deviendront les catéchistes. C’est une nouveauté, mais elle va se développer de façon remarquable. D’abord une poignée au début et dans les environs immédiats de la mission, puis une légion de chrétiens dévoués, proches à la fois des Missionnaires et des gens. Ces catéchistes deviendront les grands artisans de l’évangélisation du Burundi. Piripori a vu juste. Il entraîne ses confrères sur ce chemin et le catéchuménat s’organise. A partir de Muyaga, avec audace et confiance, Piripori place ses hommes en des lieux reculés qui deviendront plus tard les paroisses Gitwenge, Gisuru, Rusengo. A ces catéchistes, Piripori demande beaucoup. Ils viendront souvent à la mission centrale pour recevoir une solide instruction, des leçons modèles, des conseils et des encouragements. Dans ces rencontres, les catéchistes racontent ce qu’ils vivent, leurs joies et leurs peines. Une véritable école de catéchistes est née. Les meilleurs d’entre eux, le P. Leport osera les envoyer aux quatre coins du Burundi, pensez donc : Makamba, Gatara, Busiga, Mpinga, Rusengo et même dans le Buha voisin pour y épauler l’évangélisation encore dans ses débuts. On se souviendra particulièrement d’un de ces catéchistes envoyés au loin : le papa de Monseigneur Joachim Ruhuna, qui vint s’établir dans la région de Nyabikere-Gatonde. Souvent ces vaillants apôtres furent de bons pères de famille et le Seigneur a bien su où aller chercher ses premiers prêtres.

Piripori, en vrai missionnaire, n’a pas tardé à communiquer sa conviction intérieure aux burundais. Il est soucieux de formation, il prépare l’avenir. Il sait discerner, bien choisir et il consacre beaucoup de temps à la formation. En 1920, il publie un manuel, un catéchisme expliqué. Il connaissait bien la langue, et son supérieur, le Père François Ménard, auteur de la première grammaire, l’a beaucoup aidé.

Sans en avoir l’air, Piripori avait commencé une école primaire qui n’en avait pas encore le nom. Pour préparer ses catéchistes, il a inventé l’école. Des jeunes de 12 à 15 ans reçoivent une instruction élémentaire : lecture, écriture, calcul, en plus de la formation religieuse. Son empirisme a donné de bons résultats ; elle a donné une formation sérieuse à beaucoup de catéchistes, de maîtres d’école, de chefs et sous-chefs. Cependant, il ne s’arrête pas là ; déjà il pense plus loin, il pense petit et grand séminaire. Les meilleurs de son école, s’ils le veulent, sont envoyés à Ushirombo, puis plus tard à Kabgayi avant l’ouverture du premier petit séminaire de Mugera en 1926. Dans ce dernier, les élèves les plus nombreux proviennent de Muyaga. En 1925, Piripori imposent les mains aux deux premiers prêtres du Burundi : ils sont de Muyaga.

Debout : P. Schultz, P. Leport JM, Fr. Polycarpe
Devant: Chef Senyamurungu, P. Goarnisson

Au cours de ses tournées apostoliques, Piripori a rencontré le chef Kiraranganya, dans la région de Gisuru. Le Cardinal Lavigerie avait dit à ses missionnaires : visez les têtes, les chefs. Leur conversion entraînera celle de leurs sujets. Sans doute Lavigerie se souvenait-il du baptême de Clovis qui entraîna la conversion des francs, des français. Le 24 mars 1918 Joseph Kiraranganya reçoit le baptême. Doucement la classe dirigeante bouge et s’intéresse à la religion de Jésus Christ. Piripori organise le catéchuménat qui accueille de plus en plus de priants et de catéchumènes. La mission au Burundi prend alors un essor considérable. Presque tout se passe dans les succursales. En 1927, l’Église au Burundi organise le catéchuménat sur le modèle déjà expérimenté par Piripori. En 1915, 457 baptisés, en 1922, 5552. En 1943, année où le P.Leport quitte ses responsabilités de supérieur après 40 ans, Muyaga compte 28.500 chrétiens. Rusengo, détaché de Muyaga en 1923, en compte 19188.

Le secret de tout ce succès, de tous ces progrès ? Il faut le chercher dans la foi profonde de Piripori qui fut toujours un homme de prière. Il est très fidèle à la vie communautaire des Pères blancs qui font la part belle à la prière. Dans sa communauté, on est régulier ; volontiers l’Évêque confie les jeunes missionnaires au Père Leport pour une bonne initiation à la langue et à la mission. Je fus de ceux-là en 1955-1956. Tous ceux qui passèrent par Muyaga ont gardé pour Piripori une grande affection et admiration.

C’est aussi Piripori qui a introduit la croisade eucharistique (aujourd’hui le MEJ) au Burundi. Il avait une grande dévotion pour l’Eucharistie. Il priait beaucoup, même la nuit, devant le tabernacle. Quoi d’étonnant qu’à la fin de sa vie, il demandait qu’on l’installe dans le chœur de l’église de Muyaga pour prier…en fait il dormait. Mais comme dit le psaume, Dieu comble son bien aimé même quand il dort (Ps 126) Il avait bien le droit de se reposer dans le Seigneur qu’il avait si généreusement fait connaître et aimer par tant de burundais. 61 ans de Burundi avec seulement deux congés en Europe: en 1923 pour y faire une grande retraite à Alger, et en 1952 pour quelques mois seulement. En 1963, il fête ses soixante ans de sacerdoce. Il est encore bien en forme et le soir de la fête il rassemble les vieux catéchistes et anciens serviteurs de la mission. En juin 64, il passe quelque temps à l’hôpital de Bujumbura. Mais on ne peut plus rien faire pour lui. Il retourne à Muyaga pour mourir parmi les siens, comme il disait. Deux jours avant sa mort, il fait ses adieux à tous ceux et celles qui l’entouraient. Les prêtres du Burundi ont demandé que son corps puisse reposer dans l’église de Muyaga, dans une petite chapelle latérale, en face de celle où se trouve aujourd’hui la vraie croix de Misugi.

Quelle belle vie ! On l’appelait souvent le saint Père Leport. Mais ne croyez pas qu’on s’ennuyait chez lui. Il était gai ; il avait le mot pour rire et faire rire. Il aimait taquiner et se laissait volontiers taquiner. Son travail apostolique fut béni du Seigneur. Quant à moi, l’auteur de ces lignes, je ne puis que lui dire : « Merci, merci Piripori. Tu as été un fidèle serviteur de Dieu et un grand apôtre du Burundi. »

Waly Neven, M.Afr.
Petit Echo n° 1078

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