« Donnez-leur vous-mêmes à manger », (Mt 14, 16). Malgré notre pauvreté, nous sommes invités à partager le peu que nous possédons avec les plus misérables. Les filles-mères de notre Paroisse font partie de ces pauvres. Nous le savons chers amis, que toute personne qui a besoin du service d’une autre personne est pauvre. Chacun de nous vit son état de pauvreté à sa manière. Certaines personnes sont pauvres spirituellement, d’autres matériellement, moralement, mentalement, économiquement, socialement, intellectuellement, physiquement etc.
La pauvreté, en milieu urbain, est un phénomène qui est bien développé dans les grandes villes comme dans les petites villes. Ce phénomène est souvent masqué par les routes bien tracées et bien goudronnées et par les bâtiments administratifs bien couverts de peintures de luxe. La ville de Kindu ne fait pas exception à ces constats.
A Tokolote, beaucoup de jeunes filles abandonnent les études à cause des grossesses non désirées ou du mariage. Pour ces raisons, il n’y a pas beaucoup de filles diplômées. Il y a beaucoup de filles-mères. Très peu de filles obtiennent le diplôme d’Etat avant d’être mariées ou d’avoir des enfants.
Ces filles-mères vivent difficilement leur état de mère. Elles sont considérées comme des filles mal éduquées, prostituées, qui n’ont pas d’avenir, fardeaux dans la famille et pécheresses. Socialement, ces filles sont mises à part, exclues dans différents mouvements sociaux. Leurs droits et leur dignité sont bafoués. A cause de cela, elles sont traumatisées et découragées. Elles se sentent oppressées, délaissées, humiliées et inutiles dans la société.
La pauvreté que vivent les filles-mères de notre paroisse est celle du chômage, de la perte du sens du mal, l’irresponsabilité de certains parents dans leur devoir parental, du problème du mariage précoce, de la culture qui s’intéresse plus à la dote qu’à la personne. Pourrions-nous continuer à les blâmer comme cela se pratiquait il y a deux milles ans?
La condition de vie de ces filles-mères nous a poussés à faire quelque chose pour elles, qui peut les aider à se prendre en charge, à retrouver leur dignité et le respect dans la société et dans l’Eglise. Mais cela ne signifie pas qu’il faut cesser de prendre en compte la décadence culturelle qui ne promeut pas les filles-mères à exercer leur rôle dans la société comme les autres femmes.

Nous sommes conscients que les parents et les agents pastoraux ont joué et jouent toujours un rôle important dans ce que ces filles-mères vivent aujourd’hui. Nous devons être humbles et réalistes, pour reconnaître que parfois notre manière de traiter les filles dans les familles et dans l’Eglise a contribué à provoquer ce dont nous nous plaignons aujourd’hui. Nous n’avons pas vraiment pris notre engagement et nos responsabilités comme parents et comme agents pastoraux. Beaucoup de ces filles ont laissées les études à l’âge de 13-14 ans. Elles restaient à la maison sans rien faire. Elles ne partaient pas à l’école parce que leurs parents disaient qu’ils n’ont pas l’argent pour payer leurs frais scolaires, quoiqu’ils en paient pour les garçons. Les agents pastoraux n’organisent aucune formation pour les jeunes. Nous n’avons pas bien accompagné les jeunes spirituellement et intellectuellement. L’adage populaire en Kiswahili dit : « Asiye funzwa na mamaye hufunzwa na ulimwengu », littéralement : « celui qui n’a pas été formé par sa maman (parents) il sera formé par le monde.» Et rappelons ce que veut dire l’Evangéliste Jean quand il parle du Monde et des cieux. Imaginez-vous ce qui peut arriver aux jeunes filles qui ne fréquentent pas l’école, qui n’ont pas de travail ni de camps de formation pendant des années ? Ayons pitié de ce que ces brebis vivent aujourd’hui.
La nouvelle évangélisation nous pousse à être créatifs, inventifs et de trouver des méthodes adaptées pour aider les gens à rencontrer Dieu dans leur vie. Dans notre paroisse nous avons acheté les machines à coudre pour les filles-mères et il y a trois personnes qui leur offrent leur disponibilité en leur apprenant la couture. Nous organisons différentes sessions de formation pour ces filles-mères. Jusqu’à nos jours elles ont suivi la formation sur l’auto-prise en charge et l’autofinancement, la session sur les droits de la femme, la dignité de la femme et la place de la femme dans la société et l’enseignement sociale de l’Eglise sur la famille et la femme.

Nous sommes conscients que l’affaiblissement de la foi et de la pratique religieuse dans certaines familles affecte les filles-mères et les laisse davantage seules avec leurs difficultés. Souvent les filles-mères se sentent abandonnées à cause du désintéressent et de la faible attention que leur accordent les institutions religieuses et civiles. Mais nous devons être reconnaissants pour ces filles-mères même si on ne les encourage pas. Elles ont acceptés d’assumer leur responsabilité après leur grossesse. D’une certaine façon on peut dire qu’elles ont le sens de Dieu, de la vie et surtout de l’enseignement social de l’Eglise qui ne permet pas l’avortement.
Aujourd’hui, beaucoup d’enfants naissent en dehors du mariage et grandissent avec un seul parent. Cela est provoqué par une exploitation sexuelle exagérée qui est une de réalité des plus scandaleuses dans la société contemporaine. Notre quartier de Tokolote n’est pas étranger face à cette situation. En aidant la femme nous aidons en même temps l’enfant innocent.
Nous ne devons pas les juger ni les exclure. Nous devons les accompagner. La violence verbale, physique et sexuelle qui s’exerce sur les filles-mères dans certaines familles est déplorable. L’Eglise Mère qui a une option fondamentale pour les pauvres dont les filles-mères, ne peut pas se taire face à ce qui se vit chez ses membres. Nous ne sommes pas des agents qualifiés pour ce travail mais avec l’aide des personnes qualifiées dans différents domaines, nous espérons récolter de bons fruits. Nous croyons qu’en travaillant avec les prêtres et religieuses autochtones, les laïcs et toute personne de bonne volonté nous réussirons. Nous avons besoin des autres personnes dans notre mission surtout dans la paroisse comme la nôtre, où le problème du tribalisme semble avoir des racines très profondes.
Ayons pitié de ces filles-mères pauvres, abandonnées par leurs conjoints, maltraitées, abusées, utilisées comme moyen de plaisir, découragées et sans espoir. Au regard de ce qui précède, il nous est paru nécessaire de concevoir un projet de développement en faveur de ces filles-mères.
Une Paroisse pauvre pour les pauvres n’est pas seulement en paroles. C’est ainsi que nous avons voulu pratiquer cet amour que l’Eglise manifeste envers les pauvres qui sont nos frères et sœurs à travers cette formation pour les filles-mères de la paroisse Sainte Rita de Tokolote.
Elias Peter Kapange