
Il y a 15 ans quand j’ai posé cette question : Veux-tu un morceau de chocolat ? Et la réponse de mon confrère était négative. Mais pourquoi ? – j’ai demandé. Tout en souriant et avec une conviction sérieuse et profonde il m’a répondu : parce que le prix du cacao sur le marché mondial est trop bas. Quand ils vont donner un prix juste et quand les paysans auront le revenu compensant leur travail, je mangerai du chocolat. Et j’avoue que, du coup, le goût du chocolat que je savourais est devenu amère comme la matière première pour sa production. C’était en Côte d’Ivoire, le pays leader mondial dans la production du cacao. A cette époque-là, il n’y existait aucune usine de la transformation de cette matière première pour sucrer la vie. La première usine de transformation du beurre de cacao en pâte à tartiner ou en poudre pour le petit déjeuner a été ouverte en 2015. Plus de cent ans après l’introduction du cacao dans le paysage agricole ivoirien. Le développement prend du temps. Et si le prix à l’époque était bas, quel alors était le gain aux producteurs de cette filière présentée comme en pleine expansion ? Le développement prend du temps, surtout le développement durable et équitable. La filière cacao n’est qu’un exemple parmi tant d’autres et les média nous assurent que ce secteur est en plein développement… J’ai contacté alors une amie qui a des plantations du cacao : sa réponse était simple : Cacao ? C’est du combat ! Et en regardant l’évolution du prix du cacao sur le marché mondial, bien que ce dernier temps le prix a augmenté, mais pas nécessairement le gain des premiers producteurs, je doute fort que mon confrère à qui j’ai proposé du chocolat en connaisse encore le goût.
De quoi s’agit-il ?
Le développement durable est un concept qui a pris une importance grandissante dans la discussion mondiale depuis un bon nombre d’années. La définition classique du concept, à l’heure où les questions environnementales, économiques et sociales deviennent de plus en plus pressantes, nous oriente vers l’importance de penser à des solutions à long terme qui répondent aux besoins des générations présentes tout en pensant à ceux qui vivrons dans notre monde dans le futur. Cela me fait penser à l’extrait de la parabole de Jésus sur les talents (Matthieu 25,14-21) où le serviteur qui en a reçu cinq prend sa responsabilité pour assurer l’avenir. Comment faire alors ? Le monde est en développement et c’est une erreur de penser qu’il s’agit seulement du développement technique ou économique. Ce développement, pour qu’il soit durable et équitable, devrait englober toutes les dimensions de notre « séjour » sur la planète Terre. Il ne peut pas être réussi sans être juste, donc enraciné dans des valeurs de solidarité, de justice, de respect pour la Création et garantissant à tous, en particulier aux plus vulnérables, un avenir de dignité. Il ne peut pas se limiter à l’amélioration économique, matérielle ou technique. Il va plus loin et inclut le bien-être spirituel, émotionnel et social de la personne humaine.
Où et comment nous engager ?
Les domaines d’intervention sont nombreux : agriculture et sécurité alimentaire, éducation et formation, promotion de la justice sociale, protection de l’environnement, dialogue interreligieux et engagement pour la paix, soutien aux personnes vulnérables et promotion des conditions de vie dignes pour les populations locales. La liste d’activités, pour que les communautés locales puissent prendre en main leur propre développement, peut encore s’allonger. Mais où aller particulièrement ? Le dernier Chapitre Général confirme qu’en tant que Société missionnaire, nous répondons aux défis du monde contemporain en étant envoyés dans les zones de fractures, aux périphéries du monde et de l’Église, là où d’autres ne voudraient pas aller (AC, p.21). Avons-nous ce zèle d’y aller ? Et si oui, est-il pour longtemps ?
Le développement prend du temps
Le temps est un facteur important quant au développement s’il se veut durable et équitable. Toute action demande une bonne connaissance de la réalité du milieu, une forte proximité aux gens et un discernement communautaire sérieux.
Souvent, en parlant avec nos confrères ainés qui ont passé vingt, trente et peut-être plus d’années dans le même endroit, une remarque vient : nous bougons trop. Et quand ils disent cela, ils pensent à la question de stabilité dans nos communautés : deux ans ici, trois ans là-bas, quatre ans encore ailleurs… Cette réalité nous touche et nous sommes conscients combien la gestion des ressources humains reste pour nous aujourd’hui un défi majeur. Mais il nous faut aussi comprendre que la nomination dans une communauté n’est pas définie par le nombre d’années. Nous sommes envoyés dans une communauté pour la Mission et non pour compter les années. Une erreur se glisse si nous pensons que nous sommes nommés dans une communauté pour trois ou, au maximum six ans, et après nous devons changer d’endroit. Ceci ne concerne pas les responsabilités particulières qui ont un mandat bien déterminé.
Et si nous restions plus de temps dans un même lieu ? Cela ne peut être que bénéfique pour un développement durable et équitable qui repose sur une compréhension profonde des réalités locales et sur un engagement à long terme pour le bien commun et surtout pour le bien de la Mission.
Développement respectueux
Le dernier aspect que j’aimerais mentionner concerne la question du respect des cultures et des traditions locales qui est un des principes de base de l’engagement missionnaire. Nous pouvons apporter notre soutien pour le développement durable et équitable tout en veillant à intégrer notre action dans le respect des réalités culturelles et sociales des populations locales. Et cela sans rien imposer mais plutôt en collaboration avec les communautés pour trouver des solutions qui soient les mieux adaptées aux contextes locaux particuliers. Développer veut aussi dire préserver pour l’avenir.
J’allais oublier… Au confrère qui ne mangeait pas de chocolat il y a quinze ans, je viens d’envoyer le message suivant : et aujourd’hui… manges-tu du chocolat ? Il m’a répondu : Pas encore. J’attends le juste prix pour en manger. Le développement prend du temps.
Par: Pawel Hulecki, M.Afr.
