Ethiopie – une découverte

Ethiopie - une découverte

Que se passe-t-il réellement dans la région du Tigré en Ethiopie ? Avant novembre 2020, neuf confrères Missionnaires d’Afrique y travaillaient. Aujourd’hui, ils ne sont plus que deux. Paul Reilly, récemment nommé pour des études à Rome, a accepté de contacter Jose Bandres, M.Afr., et avec lui, ils nous donnent quelques pistes pour mieux comprendre la situation.  Evaluer la crise en tant que personnes vivant ou ayant vécu en Ethiopie peut être délicat, mais leur but est seulement de mieux nous informer, pas de défendre leurs opinions politiques. (Webmaster)

Le 3 septembre 2021, l’évêque Tesfaselassie Medhin du diocèse d’Adigrat (qui comprend toute la région du Tigré) a adressé une lettre à toutes les parties intéressées. Il y donne un bref aperçu de la situation actuelle dans son diocèse, où des millions de personnes souffrent de pénuries alimentaires dramatiques, et demande de l’aide et des prières pour que la guerre et les souffrances des innocents du Tigré trouvent une issue pacifique.

Pour mieux comprendre ce qui s’est passé dans le nord de l’Éthiopie au cours des derniers mois, nous vous présentons brièvement le contexte du déclenchement de la guerre et de la grave famine qui sévit actuellement dans le Tigré.

Contexte social et politique : Au cours des 35 dernières années, l’Éthiopie a connu cinq guerres différentes et deux famines dévastatrices.

Quelques dates importantes :

1974 – L’empereur Hailé Sélassié est renversé par un coup d’État militaire après que son gouvernement a échoué dans sa lutte contre la famine. Mengistu Hailemariam prend la tête d’une junte militaire.

1977-79 – Le mouvement de guérilla tigréen apparaît au Tigré.

1984-85 – Une nouvelle famine grave dévaste une grande partie du pays.

1991 – Dirigé par Meles Zenawi, le Front populaire de libération du Tigré (TPLF) dépose Mengistu Hailemariam après 17 ans de guérilla et forme avec d’autres groupes ethniques le Front démocratique révolutionnaire du peuple éthiopien (EPRDF). Une période de prospérité et de stabilité s’instaure et, pendant les 21 ans de son règne autoritaire, des progrès économiques considérables sont réalisés.

1993 – L’Érythrée devient indépendante à la suite d’un référendum.

1994 – Une nouvelle constitution établit l’Éthiopie comme une fédération couvrant les 7 régions ethniques. Meles Zenawi accède officiellement au poste de Premier ministre.

1998-2000 – Guerre frontalière entre l’Éthiopie et l’Érythrée, avec de lourdes pertes humaines des deux côtés.

2018 – Abiy Ahmed, issu de l’ethnie oromo, devient Premier ministre et lance un vaste programme de réformes politiques dans le pays et de rapprochement diplomatique à l’étranger. Le gouvernement libère des milliers de prisonniers politiques, invite les exilés à rentrer chez eux, promet une plus grande liberté d’expression, la privatisation de la presse ainsi que d’autres secteurs importants de l’économie, spécifiquement les télécommunications. À l’étranger, il négocie la fin de l’état de guerre avec l’Érythrée obtenant ainsi le prix Nobel de la paix en 2019. Dans le cadre de ses réformes politiques, il dissout les partis régionaux à base ethnique qui composent l’EPRDF et crée un nouveau parti national pour la prospérité (PP). Le TPLF refuse de rejoindre le PP, se retire de la coalition gouvernementale et devient le principal parti d’opposition. En pleine pandémie de Covid-19, le PM Abiy annonce le report des élections fédérales prévues en principe pour l’été 2020. Le TPLF rejette la raison du report des élections, affirmant que le PM Abiy utilise la pandémie comme une excuse pour avoir plus de temps pour faire campagne et pour accroître le soutien à son parti de la prospérité.

2020 Septembre – Novembre. Le TPLF, contre la décision du gouvernement fédéral, organise des élections le 9 septembre dans la région du Tigré et les remporte. La rhétorique belliqueuse s’échauffe des deux côtés et conduit finalement au déclenchement des hostilités le 4 novembre, lorsque le TPLF attaque et occupe le commandement militaire du nord situé dans la capitale provinciale du Tigré, Mekelle, ainsi que d’autres bases militaires fédérales dans toute la région. Le Premier ministre Abiy Ahmed répond en faisant appel à trois forces militaires différentes : l’armée fédérale éthiopienne, les milices régionales de l’État voisin d’Amhara et les forces d’invasion du dictateur Isaias Afwerki, président de l’Érythrée.

Bien sûr, comme dans toutes les guerres, ceux qui souffrent le plus sont les innocents. Depuis le début des hostilités, début novembre 2020, des milliers de personnes ont été tuées, des femmes violées, des enfants rendus orphelins, des récoltes ruinées, des villages incendiés, des familles séparées et déplacées, des hôpitaux, des cliniques, des usines, des établissements d’enseignement pillés et détruits. En raison de l’insécurité permanente, la vie normale est devenue impossible. Ceux qui ont un emploi ne peuvent pas travailler, les étudiants ne peuvent pas étudier, les agriculteurs ne peuvent pas planter. Des millions de personnes ont été déplacées, soit en fuyant vers le Soudan, soit en se déplaçant à l’intérieur du Tigré. Jour après jour, la nourriture est devenue de plus en plus rare et les prix ont grimpé en flèche. Toutes les banques privées ont fermé, et la banque gouvernementale n’autorise que des retraits limités. Même Médecins sans frontières a dû se retirer du territoire par manque de sécurité lorsque trois de ses membres ont été tués fin juin 2021.

Juin 2021 – Après une série de revers militaires, le gouvernement fédéral déclare un cessez-le-feu unilatéral selon lequel l’armée fédérale, les forces érythréennes et les milices amhara se retirent de la capitale Mekelle et de la majeure partie du territoire du Tigré. Ce mouvement est très vite devenu ouvertement une tactique pour asphyxier la population par la faim et la maladie, avec un verrouillage total de la région. (Pas de vols, pas de banques, pas de téléphone, pas d’internet, pas de médicaments et pratiquement pas d’arrivée de nourriture).

Aujourd’hui, la situation est désespérée :

En juin 2021, selon Mark Lowcock, sous-secrétaire général des Nations unies aux affaires humanitaires et coordinateur des secours d’urgence, après la publication de l’analyse de la classification intégrée des phases de la sécurité alimentaire (IPC), “le nombre de personnes en situation de famine au Tigré… est plus élevé que partout ailleurs dans le monde, à n’importe quel moment depuis qu’un quart de million de Somaliens ont perdu la vie en 2011.” Sa déclaration – lors d’une table ronde en amont du sommet du G7 – décrivait la situation d’alors, sur l’évaluation autorisée de la crise par la classification intégrée de la phase de sécurité alimentaire (IPC) soutenue par les Nations unies. Dans un rapport, elle estimait que 353 000 personnes au Tigré étaient en phase 5 (catastrophe) et que 1,769 million d’autres étaient en phase 4 (urgence).

C’était il y a trois mois. Aujourd’hui, la situation est cent fois pire. Selon des sources fiables – La Croix du 12 aoûtà la mi-août, 5,3 millions de personnes avaient besoin de nourriture, et 400 000 souffraient de famine grave. C’est pourquoi, le 3 septembre, l’évêque d’Adigrat, Mgr Tesfaselassie Medhin, dans un geste désespéré, tente par sa lettre d’alerter toute autorité dans le monde pour qu’elle agisse fortement sur le plan politique, qu’elle mette fin à un tel génocide, qu’elle entame des conversations de cessez-le-feu par le biais de médiateurs et qu’elle ouvre la frontière pour faire entrer de la nourriture et des médicaments.
Pour autant que nous le sachions, seul le président américain Joe Biden a signé un décret visant à mettre en œuvre des sanctions ciblées contre les individus et les groupes qui commettent des violences et entravent l’aide humanitaire en Éthiopie. Cependant, aucun individu ou entité n’a été spécifiquement nommé.

Avant le déclenchement de la guerre en novembre 2020, les Missionnaires d’Afrique (Pères Blancs) comptaient neuf confrères travaillant dans la région du Tigré. À l’heure actuelle, il n’en reste que deux. Veuillez les garder dans vos prières, ainsi que tous les prêtres et religieux de l’éparchie d’Adigrat, et le peuple innocent du Tigré. Et surtout, prions pour un retour urgent de la paix en Ethiopie !

Jose Bandres & Paul J. Reilly

Abune Tesfaselassie Medhin, évêque de l'éparchie catholique d'Adigrat, avec ses prêtres et quelques M.Afr.
Eparchie catholique d' Adigrat-Tigray (Ethiopie)

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