Le premier meurtre qu’a connu notre humanité fut causée par la jalousie. Caïn tue son frère. Le terme « péché » apparaît ici pour la toute première fois dans la Bible ! C’est significatif ! Le « péché originel » n’est pas celui d’Adam et Ève. Le premier péché s’est vécu entre humains. Le premier péché, c’est de laisser libre cours à la violence, née de la jalousie, de la non-acceptation de la différence.
Le méchant d’un bande dessinée lue durant mon enfance n’arrêtait pas de maugréer : « Je veux être vizir à la place du vizir ! » Et d’imaginer toute une série de méthodes pour y arriver. Moins dramatique cette réflexion d’un confrère : « Il m’a fallu attendre 27 ans de vie missionnaire avant d’être nommé curé, alors que lui… » Oui, et alors ? « Pourquoi lui est-il appelé aux études et pas moi ? » Notre imagination très prolifique nous entraîne trop souvent à notre insu sur la mauvaise piste. Nous n’avons pas toujours les bons éléments pour juger une décision prise par les responsables… ou par Dieu !
Caïn et Abel, deux frères, mais bien différents. Au moment d’offrir à Dieu les prémices de leurs produits, les premiers fruits de leur travail, survient le drame : Dieu agrée l’offrande d’Abel mais rejette celle de Caïn. Dieu n’a pas rejeté Caïn, mais seulement l’offrande qu’il a faite. Caïn fait l’expérience de l’inégalité et réagit de manière forte : née de sa jalousie, la colère bouillonne en lui.
Dieu dit à Caïn de se reprendre. Mais Caïn est jaloux d’Abel, sans chercher à comprendre ; il ne demande pas à Dieu qu’il s’explique de son choix, mais il voit que son frère reçoit quelque chose que, lui, n’a pas. C’est à ce moment-là que naît la jalousie : désirer ce que l’autre possède, des biens, de la reconnaissance, du succès, des talents, en concevoir de la peine, et nourrir une envie et même de la haine à son égard, une haine qui peut conduire à de la violence. Selon l’auteur de la Genèse, cette violence naît du fait que l’homme ne supporte pas la différence, ce qu’il considère comme une inégalité, une injustice, dont Dieu même serait responsable.
Dans un enseignement en 2017, le pape François souligne que les inimitiés entre nous commencent par de bien petites choses, puis cela grandit et nous voyons la vie uniquement de cette perspective. Au point qu’ensuite, notre vie tourne autour de cela, et cela détruit le lien de fraternité. Ce qui est arrivé à Caïn peut nous arriver à tous, dit-il. C’est pourquoi il s’agit d’un processus qui doit être arrêté immédiatement. « Dans nos presbyteria aussi, dit-il, dans nos collèges épiscopaux, combien de fissures commencent ainsi ! ». Et dans notre Société ?
A la source de la jalousie
Le jaloux éprouve tout partage comme une inégalité et surtout comme une profonde frustration. Il ne désire rien, mais veut tout, surtout ce qui a été donné aux autres. Il ne désire pas spécialement recevoir, mais posséder. Il ne croit pas au don qui lui est fait, parce que l’autre est toujours en travers de sa joie.
Le jaloux refuse la vie qui lui est donnée. Il veut celle qui est donnée à l’autre. Comme il ne peut reconnaître cela, il se considère comme “rejeté”. Il ne reconnaît pas qu’il refuse la vie. Il justifie son refus par un rejet de l’autre et de lui-même par l’autre. Pour le jaloux, c’est la loi du “tout ou rien” qui joue. Si l’autre est vivant, c’est que je suis exclu de la vie. C’est “ou lui ou moi”.
La culture de la paix passe par une bonne connaissance de ce mal qu’est la jalousie
Nos rapports humains sont marqués par la jalousie. Nous sommes tous saisis par ce sentiment, même si c’est à des niveaux différents. La première chose à faire est donc de reconnaître la jalousie pour mieux la gérer. Nous ne pouvons rien contre la jalousie qui naît dans nos cœurs, ce « désir mimétique » (ce désir d’être comme l’autre, niant d’une certaine façon nos différences), qui nous vient hélas malgré nous. Nous pouvons cependant toujours « relever la tête » comme Dieu le propose à Caïn, c’est à dire prendre du recul sur ce que nous possédons et ce que possèdent les autres, comme biens, comme qualités, comme talents, comme histoire.
Permettez-moi ici de vous partager mon expérience personnelle. C’est au Chatelard, au cours d’une session sur la jalousie, que j’ai reconnu en moi une jalousie mortifère qui m’a fait revoir certaines attitudes de mon passé. J’ai compris l’origine de certaines tristesses, influencées par une grande imagination. J’ai peu à peu réussi à percevoir le moment où le mal avait tendance à prendre le dessus en moi : « Attention, Georges, tu sors de la réalité. Tu es dans l’imaginaire et tu deviens jaloux ! » Pour y échapper, j’ai aussi volontairement cherché à favoriser celui dont j’étais jaloux : « Vade retro, Satanas ! »
Le monde nous force à comparer et, bien souvent, pris par une imagination destructrice, à sortir de la réalité. Il me faut revenir à la réalité de l’humanité de l’autre que je jalouse. C’est un homme avec des dons, mais aussi avec des faiblesses. Et pour que l’autre ne m’empêche pas de vivre, je suis aussi appelé à découvrir mes propres richesses, découvrir ce qui me fait vivre.
Beaucoup de conflits entre états, frères ou confrères naissent d’une jalousie non gérée entraînée par une imagination destructrice. Pour sortir de cette impasse, il faut quitter le rapport imaginaire du « ou lui ou moi » pour intégrer le « lui et moi ». La sortie de la jalousie c’est l’altérité. C’est “et lui et moi”. Tu as le droit d’être heureux. J’ai le droit d’être heureux. Dans l’appréciation positive de nos différences.
Par: Georges Jacques, M.Afr.