Notre but n’est pas ici de raconter les vicissitudes et les souffrances des nombreuses personnes que Quim a accompagnées et pour lesquelles il a travaillé si dur pendant des semaines et des mois. Nous essayons seulement de deviner et de recomposer l’offrande de la vie du martyr. Le martyre est, avant tout, un grand don de Dieu. On ne le désire pas ou ne le cherche pas soi-même, mais on l’accepte et on l’accueille le moment venu. Nous cherchons la raison de son choix entre vie et mort ; la raison de risquer le tout pour le tout face à l’immense tragédie sociopolitique et militaire qui allait manifestement le rattraper. Quim était un expert dans ce domaine et dans la façon dont il qualifiait les « catastrophes politiques, d’un côté comme de l’autre ». Pour sa part, il avait eu de bonnes et de moins bonnes relations avec les deux parties. Dans la réalisation de ses projets, il n’avait qu’un seul objectif : améliorer les conditions de vie de tous, en particulier des plus pauvres.
De ses nombreuses lettres à sa famille et à ses amis, nous avons extrait quelques paragraphes qui indiquent son désir d’aller jusqu’au bout. Elles sont écrites au stylo, rapidement et sans hésitation, sur de fines feuilles de papier pour la poste aérienne. Nous les avons maintenant classées comme si elles étaient son testament. Elles sont gravées comme sur un parchemin pour durer des siècles…
En octobre 1992, Quim se trouve dans une situation limite ; il est très fatigué physiquement, vient juste d’essuyer des critiques concernant sa gestion de l’urgence humanitaire et ne trouve pas de confrère pour prendre sa relève.
Fâché et profondément blessé, à la fin d’une dure journée au volant de son camion, un enfant, traversant la route, lui a crié : « Komera, Padiri », c’est-à-dire « Courage, Père ». Quim confesse qu’ « il est tombé de son cheval comme Saint Paul en disant ‘c’était toi, Seigneur, une fois de plus’ ».
En décembre 1993, profitant d’un voyage en Europe pour contacter diverses organisations et demander de l’aide, il s’est arrêté dans son pays pour passer Noël chez lui et saluer sa famille et ses amis.
Lorsqu’il a dit au revoir à l’évêque de Gérone, il lui a fait comprendre qu’ « il était très probable qu’ils ne se reverraient plus ». Il a également laissé à certains amis de nombreuses diapositives sur « l’exode » et les camps, leur disant qu’elles leur serviraient plus qu’à lui-même.
Les événements de 1994 ont commencé à se précipiter en février. Quim, avec une vision prophétique, s’est exclamé : « Nous nous dirigeons vers une guerre civile comme au Burundi ! Un mois plus tard, il reflète sa douleur et son indignation envers les régimes, et renouvelle son engagement envers les plus déshérités. Il écrit une longue lettre compromettante. Entre autres choses très dures, il écrit : « Le pouvoir devient fou et le pouvoir absolu devient absolument fou. J’ai peur des fous au pouvoir… »
Le 6 avril, la nuit de l’attaque de l’avion présidentiel, il est pris à Kageyo, au couvent de quelques amis religieux. Il y est resté confiné jusqu’à la fin. Il en a profité pour faire une retraite spirituelle et visiter les environs. Sœur Marie Pascale de Byumba, à 7 km de là, a laissé quelques phrases dans son journal, expression de sa dernière volonté. Il lui avait dit : « Je reste même si je dois mourir. Nous savons que la vie de missionnaire implique cela. Notre fondateur, Charles Lavigerie, a envoyé ses premiers missionnaires et leur a dit : ‘Allez, allez, vous avez déjà un visa pour le martyre’. » Par deux fois, la veille de son arrestation et la veille de son martyre, des soldats de l’ONU étaient venus pour l’évacuer, mais il refusait de quitter son peuple. Il avait vraiment hâte de retourner dans sa paroisse pour voir comment était la situation. Il avait guardé dans sa poche les clés de l’église et des magasins.
Quand, en début d’après-midi du 26 avril, les soldats du FPR sont venus annoncer que leurs chefs voulaient le voir et lui parler, il a dû ressentir une force intérieure extraordinaire. D’abord, il a rassuré les religieuses en leur disant : « Je reviens tout de suite », puis, en montant dans le camion, il s’est fait un magnifique signe de croix sur lui-même. Et… personne d’autre ne l’a plus jamais vu ou n’a su quoi que ce soit de vrai et de précis sur ce qui lui est arrivé. Quelques mois plus tard, un confrère séminariste a indiqué la véritable raison du martyre de Quim : « J’ai toujours été convaincu que pour Quim, l’évangile qui ne passe pas par le Calvaire et la croix ne conduit pas à la résurrection ». C’est pourquoi, aujourd’hui encore, sa vision missionnaire claire continue de nous captiver : « La solidarité, maintenant ou jamais ! »
Josep Frigola, M.Afr.
Tiré de la revue M.Afr. d’Espagne “Africana” n° 199 de Décembre 2019