Ma première tâche de missionnaire : la prière (PE n° 1077)

Depuis ma formation missionnaire chez les Missionnaires d’Afrique, mes journées sont jalonnées d’impondérables que je me suis personnellement engagé à respecter fidèlement et qui constituent ma première tâche de missionnaire : celle de la prière.

Tout d’abord, je commence la journée par une heure de méditation, préparée bien souvent à partir de l’Evangile du jour. Ce temps est pour moi vital, essentiel afin de me mettre en présence de Dieu, de me remettre en sa paix, en sa sérénité.

Ensuite, je passe au bréviaire, presque toujours avec ma communauté du moment : en tant que frère laïc, je ne suis pas tenu à réciter toutes les heures et je me suis engagé pour les laudes, milieu du jour et vêpres. J’assiste à l’eucharistie de préférence en grande assemblée, surtout le dimanche où j’assiste à la messe dans la paroisse de mon lieu de mission.

Enfin, avant les vêpres, je prends un temps (assez élastique selon les occupations du moment) pour relire ma journée et préparer ma prière du lendemain en lisant l’Evangile et le texte biblique proposé pour l’office des lectures.

Chaque mois, à l’occasion de nos récollections communautaires (ou personnellement le cas échéant), je reprends mes notes de relecture de la prière et de mes journées et cela me donne matière à méditer.

La spiritualité ignacienne me convient tout à fait et je préfère pour mes retraites annuelles, une retraite ignacienne placée pendant les grandes vacances de juillet/août selon le rythme scolaire (français) qui continue à rythmer ma vie. Cela me donne ainsi l’occasion de prendre du recul, de rendre grâce pour l’année écoulée, de me réconcilier en demandant pardon au Seigneur, de prendre de nouvelles résolutions que j’insère dans ma prière quotidienne de fin de méditation.

Après cette introduction assez générale, j’aimerais partager une expérience forte dans ma vie de prière vécue fin 2014, lorsque j’étais au Foyer Ngongo à Goma (RDC) et visitais des malades à l’hôpital provincial.

Je me suis peu à peu attaché à Elie, un jeune malade d’un cancer aux intestins, opéré d’une colostomie puis « libéré » après deux mois par les médecins impuissants face à cette tumeur, pour mourir au bout d’une semaine dans un quasi retranchement en compagnie de sa mère.

Très vite j’ai compris qu’Elie ne s’en sortirait pas et ensemble pendant ces trois mois nous avons cheminé jusqu’à sa mort et ce fut pour moi une expérience très profonde.

Elie avait été séparé de sa mère à l’âge de quatre ans lorsque celle-ci quitta son père qui se maria par après avec une autre.

Après qu’il m’ait parlé de sa situation de santé, je lui ai demandé s’il croyait en Dieu. Il avait été baptisé catholique, avait fait sa première communion puis avait finalement rejoint une église protestante à un moment où sa marâtre ne voulait plus de lui à la maison.

Je lui proposai alors de prier : c’était à mon sens la seule solution pour l’aider à trouver la paix qui manquait dans son cœur. Et je priai alors pour lui à la messe, j’invoquai aussi Notre-Dame des douleurs qu’elle m’aide à savoir donner la paix à mes frères qui souffrent comme Elie.

Lors des visites suivantes, nous avons prié ensemble pour sa guérison. Puis je lui ai présenté Sainte Thérèse de Lisieux, lui confiant combien elle m’aide beaucoup. Il était très surpris : « Comment les morts peuvent-ils nous aider ? » J’ai tenté de lui partager ma foi en la vie après la mort, en la communion des saints, en leur présence parmi nous avec Jésus ressuscité. Cette foi n’est-elle pas essentielle pour la prière ?

Mon partage a touché Elie qui se préoccupait de pouvoir aller au Paradis. Le soir à l’adoration, j’ai prié pour sa conversion, pour qu’il soit sauvé. J’ai tiré au sort pour lui les paroles suivantes de Ste Thérèse : « Je veux t’aimer comme un petit enfant, Je veux lutter comme un guerrier vaillant » que je lui ai recopiées : je les trouvais vraiment adaptées pour sa lutte contre la maladie et la souffrance, avec une invitation à l’abandon du petit enfant.

J’ai prié Ste Thérèse et mes « saints amis » d’être à mes côtés pour aimer Elie, pour le sauver par notre amitié. Par la suite, j’ai constaté qu’Elie avait été touché par mes paroles et qu’il priait maintenant Ste Thérèse. Et moi j’étais touché de voir comment Ste Thérèse m’avait exaucé. J’ai pleuré à la prière car je n’étais pas prêt à voir Elie mourir.

Je lui ai recopié une prière en l’honneur de Ste Thérèse pour solliciter sa guérison par son intercession et en lui souhaitant l’abandon, c’est-à-dire de se laisser porter par Dieu (selon la petite voie). Je l’encourageais à ne pas lâcher la prière.

Plus tard, Elie a souhaité m’accompagner à la messe à l’aumônerie de l’hôpital. Il avait une grande volonté de revenir à la vie normale. Il avait essayé un traitement traditionnel contre la tumeur. Mais il n’a pas pu tenir longtemps et il est rentré après l’Evangile. J’ai prié qu’il puisse accepter sa situation, être fort pour lutter et pour que je sache l’accompagner et l’aider.

Sa situation devenait de plus en plus désespérée et il pleurait : « Pourquoi moi ? Pourquoi Dieu ne m’aime pas ? » J’ai accueilli ses larmes en silence puis j’ai essayé de lui remonter le moral. On a prié. Je lui disais de dire à Dieu tout ce qu’il avait sur le cœur. Je demandais à Dieu pour lui d’être fort. Et je lui ai proposé qu’on prie ensemble chacun de notre côté. L’Evangile du jour me faisait méditer : « Heureux ceux qui pleurent car ils seront consolés ». J’avais essayé de le consoler ; comment pouvais-je lui faire passer cette espérance, le conduire sur ce chemin de foi ? Je ne pouvais que l’accompagner et l’aimer.

Le lendemain je l’ai trouvé beaucoup mieux ; il avait retrouvé l’espérance et le moral. J’ai alors rendu grâce à Dieu de lui avoir apporté la consolation.

La tumeur emplissait son ventre qui commençait à gonfler, il recevait des injections pour atténuer ses douleurs. Sa mère, avertie, était en route depuis Kisangani.

A la prière, je me suis demandé s’il avait accumulé suffisamment de foi, d’espérance et d’amour pour être prêt au grand passage. C’était justement la parabole des dix vierges. J’ai prié Dieu qu’Il lui donne les provisions d’huile nécessaires. J’ai prié Jésus pour qu’Elie Lui soit uni, qu’il témoigne de Lui dans sa souffrance, pour que Jésus éloigne de lui cette coupe, mais non pas ce que je veux mais ce qu’Il voudrait. Pouvais-je demander à mes saints amis un miracle pour Elie ?

Des signes m’annonçaient une fin proche. J’ai prié qu’Elie ne souffre pas trop, que Jésus lui prépare une bonne place, que je sache l’aider selon Sa volonté.

Un matin, j’ai dit à Jésus : « – Que j’aie la foi et que je sache la transmettre à Elie, il va mourir !

Je sais, ne crains pas !

Je Te prie ainsi que Thérèse de bien l’accueillir, ce dont je ne doute pas.

Aimer, cela suffit ! » Sa mère est arrivée. Ils ont refait connaissance. L’hôpital a autorisé sa sortie. Son père leur a trouvé un logement où ils s’installèrent. J’y ai continué mes visites.

Il avait peur la nuit, sa mère dormait près de lui. Je lui ai conseillé de prier, de penser que Dieu et les saints étaient à ses côtés.

On a prié ensemble une dizaine du chapelet. Il a voulu qu’on se donne la main pour prier. On a prié ensemble avec ferveur. Il ne bougeait plus que péniblement sur le lit.

Le matin de son décès, j’ai remarqué les étoiles de la Grande Ourse lors de ma méditation. Ce n’est qu’après que j’ai compris que Dieu voulait m’avertir : Elie avait rêvé un jour transformer la lune en étoile sans y parvenir et à présent, il avait réussi, il était arrivé près de Dieu et des saints. Juste avant son grand voyage vers 19 h 30, j’avais encore prié pour lui lors de notre partage communautaire.

Aux funérailles, j’ai partagé à sa mère ma conviction qu’Elie était au Ciel et qu’il était toujours avec nous, qu’il allait m’aider désormais d’une autre manière. Il faisait partie des pauvres petits qui ont trouvé la consolation.

Je l’ai pleuré, ému de penser qu’il était maintenant avec les saints, réalisant comment Dieu m’avait parlé à travers lui. Et je lui ai fait confiance : un jour il m’avait dit qu’il viendrait me voir chaque jour à sa sortie de l’hôpital… Lors de ma retraite suivante, Elie est revenu dans ma méditation : je repensais à l’amour que nous avions vécu. J’aurais voulu pouvoir l’imaginer au Ciel. Et il m’a dit : « Merci ! ». J’ai voulu protester : « Ce n’est pas moi mais Jésus qu’il faut remercier ! » Puis j’ai accepté son merci. J’ai pleuré. Je lui ai dit : « Merci de me dire merci ! » L’Amour ne passera jamais.

Régulièrement depuis, je prie avec Elie. Je repense à notre dizaine du chapelet main dans la main et c’est lui à son tour qui m’aide à avancer et à me rapprocher de Dieu.

Comment conclure ?

La prière est une expérience très personnelle et intime, de cheminement avec Dieu, elle est pour moi prioritaire et ne prend jamais de vacances. Elle est le moyen de me mettre à l’écoute et au service de Celui qui est mon premier patron, de reconnaître Sa présence dans ma vie et de Le remercier pour toutes les merveilles qu’Il accomplit.

Pierre Petitfour

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