Je remercie notre Société des Missionnaires d’Afrique pour avoir donné un nouveau souffle en envoyant des confrères aux études spécialisées, notamment celles de doctorat. Cela montre qu’elle lit les signes de temps. J’ai donc accueilli positivement ma nomination pour faire un doctorat en théologie morale. Sachant que dans notre Société très peu de confrères font des études poussées et tenant compte de mon âge, je considère cette nomination comme une grâce non pas pour ma satisfaction personnelle, mais plutôt pour mieux servir la Société.
Comment puis-je concilier la formation acquise et l’aspect pastoral de la mission ? Il n’y a pas de divorce entre ma spécialisation et la pastorale. Les confrères qui servent dans le milieu spécialisé sont au service de la Société au même titre que ceux qui sont dans les paroisses ou accomplissent d’autres missions. Faire ces études n’implique pas forcément que je m’attende à être nommé dans l’enseignement, mais plutôt je dois être prêt à toutes sortes de mission. Ma spécialisation dans l’éthique sociale visant la solidarité avec les pauvres, les vulnérables et les marginalisées va au delà de la dimension théologique.
Même si notre Société fait des efforts, elle a encore un long chemin à parcourir pour améliorer sa politique de formation spécialisée en vue d’obtenir un meilleur rendement. Elle doit donner une vision positive à cette question à l’instar de nos Constitutions et de notre dernier Chapitre général. Par contre le vade mecum reflète une vision négative à ce sujet, faisant penser que ces études ne font pas partie intégrante de la mission. On doit revisiter et repenser ce sujet.
Je suis d’accord qu’on envoie les confrères aux études selon les besoins et après avoir servi la Société au moins un mandat. Cependant, quand ils terminent la licence et si l’on estime les nommer plus tard pour le doctorat, qu’ils le fassent directement. Ceci n’est pas nouveau ni révolutionnaire, car la Société l’a déjà permis à quelques-uns. Nous devenons missionnaires à un âge avancé, et il est dit que celui qui a déjà eu l’âge d’Abraham ne peut être (sauf exception) nommé pour le doctorat. Dans les universités où nos candidats étudient, il devient difficile d’enseigner avec une licence. Pourtant, ces confrères qui ont fait ces études pourraient être une source d’autofinancement.
Quelques confrères font le doctorat en combinant avec d’autres responsabilités comme recteur, provincial ou formateur. Même si les raisons pour ces nominations sont valables, cette façon de faire, est contre-productive car ils peinent à terminer leurs études. Ce n’est pas seulement une perte d’argent pour la Société mais aussi une perte de temps pour les confrères sinon une frustration pour eux. On voit mal comment ces confrères termineront leurs études après leur mandat et on ne sait pas si cette combinaison portera du fruit.
Notre Chapitre de 2016 souhaite qu’il y ait une diversification dans les études spécialisées en philosophie, théologie, islamologie, pastorale, développement, justice et paix, économie, administration, comptabilité et même ceux qui travaillent en paroisse ont besoin d’une formation spécialisée comme la théologie pastorale. Cette diversification pourrait résoudre le problème de nomination aux postes clés au lieu de pêcher les confrères des maisons de formation. Cela ne signifie pas seulement que ces confrères sont aptes pour ces tâches car il n’y a pas de cours pour devenir provincial ou supérieur général.
Le deuxième volet au sujet de la diversification des études spécialisées, c’est de ne pas envoyer aux études les confrères d’une même nation. Notre Société est renommée pour son internationalité ; ceci doit se manifester aussi dans les nominations aux études. Il y a un esprit d’envoyer davantage de confrères d’un même pays aux études, soi-disant qu’ils sont les meilleurs. Si aujourd’hui nous créons le nationalisme, demain on créera le tribalisme. On ne sera pas étonné que les postes clés seront occupés par des confrères de la même nationalité. Nous devons tout faire pour éliminer ce virus.
Bibliothèque de l’Université Catholique de LouvainSi dans le passé les frères se spécialisaient dans les choses matérielles qui, d’une manière, avaient dévalorisé leur vocation, aujourd’hui, ils se spécialisent dans des métiers plus honorables. Toutefois, ils ne se spécialisent ni en philosophie (même si l’un vient de le faire) ni en théologie. Ils sont nommés dans les maisons de formation comme formateur et économe. Il est souhaitable qu’ils se spécialisent aussi comme philosophe et théologien. Auparavant, ces domaines étaient accaparés par les prêtres (cléricalisme), mais aujourd’hui les grands théologiens ce sont aussi les laïcs. Les frères peuvent porter un autre témoignage et donner un autre visage dans ces domaines.
Notre Société a été fondée pour libérer l’Afrique de toutes ses chaînes. Néanmoins, dans le domaine académique, cela reste à désirer. Je suis frappé qu’il est rare de trouver un livre écrit par nos confrères au moins en éthique. Si nous œuvrons pour le bien-être des Africains, c’est aussi important de les libérer de l’ignorance. Je rêve qu’un jour la Société fondera quelques universités pour transmettre son esprit à travers l’éducation. L’Afrique n’a pas d’universités fiables surtout au niveau du doctorat. La grande partie du clergé local et des missionnaires vont en Occident pour une spécialisation.
Ce que je viens d’écrire, ce sont mes pauvres opinions, mais j’espère qu’il y a du vrai dans ce que j’écris qui puisse lancer le débat au sein de notre Société au sujet des études spécialisées. Ceci ne devrait pas être un tabou, mais doit être débattu à la base en suivant le « bottom-up» au lieu de la «top-down approach.»
Anselm Ngetwa, M.Afr.