Intégrité du ministère et ses conséquences dans l’apostolat (PE n°1114)

Certains de nos confrères, surtout dans les régions éloignées, n’ont peut-être pas la chance de lire le Petit Echo, soit à cause d’un problème de distribution postale, soit parce qu’ils n’ont qu’un accès Internet sur leur téléphone portable. Chaque fois que je lirai des articles particulièrement essentiels, je les afficherai comme des articles ordinaires sur le site web, ce qui devrait être plus facile à lire à partir d’un téléphone portable. Ne les manquez pas. 
Ph. Docq

L'intégrité du ministère et ses conséquences dans l’apostolat

Peter Ekutt, M.Afr. (dans le Petit Echo n° 1114)

Sincérité et humilité

Suite à la récente révélation de nombreux cas d’abus sexuels commis par des prêtres ou personnes consacrées, le pape François a écrit une lettre à l’ensemble du peuple de Dieu. Cette lettre est un cri. Un cri pour exprimer la honte et la douleur du pape et de toute l’Église face à ces scandales des abus sexuels et d’autres formes d’abus avec leurs blessures. Ce cri se joint à celui des victimes dont les blessures accompagnent toute la vie. Nous sommes tous secoués, missionnaires d’Afrique (pères blancs) comme toutes les autres congrégations ainsi que les communautés chrétiennes. La question la plus importante à nous poser n’est pas de savoir qui se trouve derrière ces scandales, mais plutôt ce que ces scandales révèlent de notre manière d’être missionnaires. Comment est-ce que ce cri peut nous aider comme missionnaires d’Afrique à apprendre du passé afin de devenir plus attentifs à l’intégrité de notre ministère. Cette question nous invite aujourd’hui à poser un regard dépassionné et moins stéréotypé sur cette crise, sur les personnes et sur les cultures. Il n’y a ni limite d’âge, ni expérience pastorale, ni culture à l’abri de ce mal. Tout le monde, malgré son âge et son expérience missionnaire, y reste exposé.

Échanges pendant une session avec des religieux, religieuses et prêtres diocésains du diocèse de Mahagji

Expérience de terrain

J’ai eu la chance d’animer une session à des religieux, religieuses et prêtres diocésains. Pour la mise en route de la session, j’ai demandé aux participants un travail de « Brainstorming » sur ce qu’ils pensaient de l’« abus sexuel » et de l’« abus du pouvoir ». L’expression des visages des participants m’a fait comprendre que ces questions les mettaient mal à l’aise : c’était inhabituel et demandait un courage exceptionnel. Alors on comprend que la stigmatisation, la méfiance, la culture du silence et le tabou règnent autour de ces sujets à divers degrés selon les milieux. En général, je constate qu’il y a aussi une mystification autour de ces sujets. La peur de plaintes, de stigmatisations et de la justice, mais aussi les liens familiaux, empêchent les gens d’en parler et de dénoncer les cas qu’ils connaissent pourtant bien.

S’agissant de nos communautés, certains confrères acceptent souvent qu’il y a des abus sexuels et des adultes vulnérables, mais pour balayer du revers la question, on y va par des phrases stéréotypées du genre : «mais c’est rare en Afrique », « cela ne se passe pas dans notre secteur ni dans notre communauté », « l’homosexualité est moins grave que la pédophilie », « coucher avec une jeune fille de 17 ans, ce n’est pas de la pédophilie puisque c’est elle qui est venue vers moi ». Même quand on parle de la politique de protection à signer dans notre Société, d’aucuns pensent que c’est un piège pour attraper les confrères. Je connais même des secteurs où le confrère chargé de la question n’ose pas ou ne veut pas diffuser les documents aux confrères, mais attend que les problèmes éclatent pour commencer à citer les grands principes et sévir. Cela explique en partie la méfiance envers les confrères qui sont dans cet apostolat. Nous sommes considérés comme des policiers à l’affût d’infractions pour incriminer. Ainsi, se développe un blocage sur le sujet.

Si, au milieu des peines et des joies, des succès et des difficultés, la Société des Missionnaires d’Afrique continue son pèlerinage 150 ans après sa fondation, les difficultés de l’intérieur restent toujours les plus douloureuses et les plus destructrices. Le scandale de l’abus sexuel, de l’abus de pouvoir, de l’abus addictif et de l’abus de confiance fait souffrir tout le corps de la Société. Voilà pourquoi nous essayons non pas de chercher les victimes, mais plutôt de sensibiliser les confrères sur ce que le pape Benoît XVI a appelé « la blessure ouverte dans le corps de l’Église » en général, et au sein de notre Société en particulier.

Le père Peter Ekkut (en boubou) lors d’une session avec les candidats missionnaires d'Afrique, étudiants en philosophie à Kimbondo (Kinshasa)

Apprendre à allier rigueur et humilité

Nos approches peuvent avoir leurs limites, nous ne le nions pas. Mais la vérité est têtue. En effet, sur le banc des accusés, on identifie non seulement des acteurs politiques et des opérateurs économiques, mais aussi des enseignants, des responsables de groupes de jeunes, des parents, des ecclésiastiques. Souvent nous sous-estimons la prévalence des abus sexuels envers des mineurs et des adultes vulnérables, mais, en pratique, force est de constater qu’il y a de pénibles traces et des dossiers qui coûtent des fortunes à la Société. Ainsi, cet article veut provoquer une réflexion sur l’intégrité de notre ministère. Le fait d’être chrétien — en particulier consacré — dit le pape François, « ne veut pas dire nous comporter comme un cercle de privilégiés qui croient avoir Dieu dans leur poche ».

Il importe donc de réfléchir sur la sévérité des règles à adopter dans tous nos établissements, pour prévenir des faits semblables et s’inscrire dans la logique du pape François qui demande « plus jamais cela », dans nos communautés, nos secteurs et nos provinces. Il est également important que la Société s’engage pour le respect des droits tant de la victime que de la personne mise en accusation ; qu’elle veille à ce que la vérité soit accompagnée de la charité, tant envers les victimes qu’envers les accusés, afin de les conduire sur le chemin de la guérison et de la réconciliation avec soi-même et avec la société.

Lors d’une campagne de sensibilisation des jeunes dans les ecoles de Mahagji sur “l'agression sexuelle”

« Prudence » est le maître-mot

« Il ne suffit pas que la femme de César soit honnête, elle doit aussi en avoir l’apparence ! » Voilà, selon Plutarque, la réponse du grand César en ce qui concerne la répudiation de sa femme Pompéia, soupçonnée sans preuve explicite de relations extraconjugales avec Clodius ; la leçon de cette histoire est que tout responsable public doit, non seulement être intègre, mais aussi éviter tout comportement pouvant mettre en cause son intégrité ; en régime chrétien, nous appelons cela PRUDENCE.

Pour vivre cette prudence en matière de protection des mineurs et des personnes vulnérables, il est important que les missionnaires respectent les limites des espaces privés de nos communautés missionnaires d’Afrique. Plusieurs maisons de formations, heureusement, ces temps-ci, insistent sur l’interdiction de recevoir les visiteurs dans nos espaces privés à savoir nos chambres à coucher et nos salles d’équipe. Cette décision des formateurs ou des communautés des maisons de formation est à saluer et à encourager ; cela montre le sérieux de notre engagement et forme de futurs missionnaires d’Afrique dans l’esprit du cardinal Lavigerie qui ne cessait d’appeler à cette prudence dans ses lettres adressées aux premiers confrères.

Le monde a changé et cela pour tout le monde y compris les clercs jadis considérés comme des saints vivants sur terre. Je perçois ici un appel pressant à tous : apprendre à allier rigueur et humilité, aussi bien au niveau individuel que communautaire.

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