Il m’a été demandé de partager mon expérience comme confrère ayant été aux études, dans un contexte de maison de formation initiale (petit groupe de formation de 4ème étape). Quel lien établir entre l’expérience d’étudiant comme les autres étudiants à l’université, et comme étudiant et collaborateur à la formation ?
Il y a quelques années déjà que j’ai terminé mes études en théologie biblique à l’Université Catholique du Congo (UCC), après avoir passé six années de mission au Mali, diocèse de Kayes, paroisses de Guéné Goré et de Kassama. Mon passage de la pastorale paroissiale aux études spécialisées, a été marqué par un temps de formation à l’accompagnement spirituel au Châtelard à Lyon (France) qui fut un temps de ressourcement personnel et de préparation à la formation humaine et spirituelle des candidats. Nul doute que la transition entre la vie pastorale en milieu rural, dans une petite communauté de trois ou quatre, à la réalité de la formation, dans une communauté beaucoup plus grande présente de grands défis parfois difficiles à relever et à gérer. C’est sûrement une expérience d’apprentissage de la vie qui se fait parfois dans la douleur mais qui, au bout du compte procure plus de joie à donner qu’à recevoir. C’est une école où chacun s’y fait avec ce qu’il est et ce qu’il a, comptant bien sûr sur l’appui et l’aide des compagnons de route que sont les autres étudiants et les confrères. Lorsque j’avais été nommé aux études spécialisées à Kinshasa il y a dix ans, il m’avait été demandé de faire partie de la communauté du petit groupe de formation (PGF) qui en était encore à ses premiers pas comme maison de formation et procure (maisons d’accueil). Je devais y vivre comme confrère étudiant parmi les autres étudiants et en même temps comme collaborateur à la formation car, d’après le système, seul le recteur du PGF était formateur. Les autres confrères étaient considérés comme collaborateurs à la formation.
Étudiant parmi les autres étudiants
Nul n’ignore que passer de la pastorale aux études est une entreprise difficile ! Comme tout changement d’activités, de contexte social et de cadre dans lequel se déroulent les activités, le passage aux études demande beaucoup d’efforts d’adaptation et de sacrifices quant à l’organisation de son temps et de son rythme de vie. Cela n’est pas donné à l’avance et on s’y fait peu à peu à son rythme, en tenant compte du rythme des autres et surtout de celui « imposé » par les institutions universitaires.
Passer de la réalité pastorale paroissiale en milieu rural à la réalité d’étude pour ainsi reprendre des cours de théologie, refaire du grec, de l’hébreu et même de l’araméen fut un grand défi. Y faire face, n’a pas été pour moi un simple changement de milieu, de structure sociale, de cadre de vie, mais un effort constant en vue d’une adaptation à des situations et réalités nouvelles comme étudiant au milieu des autres étudiants : reprendre le chemin de l’école, réviser ses cours tous les jours et être assidu aux activités académiques, consentir aux sacrifices exigés par la vie estudiantine. C’est tout cela qu’il faut accepter pour mieux s’adapter et renouer avec le rythme de la vie quotidienne. Notre monde aujourd’hui évolue tellement vite qu’après avoir arrêté les études pendant quelques années, des nouvelles questions surgissent, des nouvelles approches voient le jour, des changements de paradigmes appellent aux nouveaux défis dans la réflexion et la transmission des connaissances. Au-delà des questions qu’on se pose sur l’adaptation à un cadre de vie tout à fait nouveau, devant un énorme volume de travail, force est de constater qu’il y a la joie de la recherche, de la découverte ou redécouverte du savoir et surtout de l’enthousiasme que nourrissent certains groupes de travail, qui sont tant de motifs d’encouragement que de soutien. J’ai expérimenté cela dans les échanges avec les autres étudiants, différents par leurs origines, leurs Instituts religieux, prêtres ou non. La participation aux activités de l’aumônerie des étudiants et à l’association des prêtres étudiants fut un moyen d’approfondir des liens avec d’autres et partager notre foi comme étudiants, prêtres, religieux, religieuses, séminaristes, laïcs, etc… La participation à la vie de l’archidiocèse de Kinshasa à travers les activités des aumôneries universitaires catholiques fut un moyen d’insertion dans une Eglise locale avec ses réalités, ses défis et ses questions en rapport avec la situation générale du pays. Comme missionnaire d’Afrique, ayant une expérience d’Eglise d’ailleurs, j’avais quelque chose d’autre à apporter dans nos échanges et nos réflexions.
Que retenir de tous ces changements ? Pas facile de s’y retrouver sans un continuel effort d’adaptation à la réalité de la vie d’étudiant. La faculté de théologie de l’Université Catholique de Kinshasa est en grande partie constituée des professeurs et étudiants ecclésiastiques, des séminaristes évoluant dans les grands séminaires universitaires et interdiocésains, des religieux et religieuses envoyés par leurs Instituts respectifs et quelques laïcs. Une diversité religieuse, spirituelle et intellectuelle devant laquelle je ne pouvais que m’interroger avant de m’y adapter tout doucement. Les choses n’ont pas été faciles au départ mais grâce au soutien et à l’encouragement des confrères et autres étudiants, je m’y suis tout doucement mis, profitant des richesses des uns et des autres.
Etudiant et collaborateur à la formation
Ma communauté de Salongo (Kinshasa) était constituée d’une dizaine de confrères aînés et étudiants. Étudiant parmi les étudiants, je partageais les efforts quotidiens du déplacement vers l’université, des travaux pratiques et sessions avec les étudiants de ma communauté. Nous parlions ensemble de nos souffrances et difficultés à réaliser certaines tâches académiques. Nous discutions et échangions sur des questions et travaux dont les sujets se recoupaient. Nous collaborions quand il le fallait, pour réaliser au mieux les tâches qui nous avaient été attribuées dans nos différents groupes de travail dans nos universités ou en communauté. Comment me suis-je retrouvé et senti dans cette ambiance avec les autres confrères étudiants ? Tout d’abord comme un frère et un confrère partageant la même vocation missionnaire et le même objectif à la suite du Christ à travers nos activités quotidiennes (eucharistie, prières, détente, activités pastorales, etc…) Étudiant comme eux, je devais répondre aux exigences académiques en demandant de l’aide là où je le trouvais nécessaire en vue d’approfondir mes connaissances. Ce climat de vie, d’échange et de partage nous ont affermis dans nos relations interpersonnelles en respectant chacun dans ce qu’il était et ce qu’il trouvait essentielle à sa croissance comme étudiants, candidats ou aîné.
La communauté du PGF de Kinshasa après une conférence en septembre 2008
Comme collaborateur à la formation, je devais me joindre aux autres confrères aînés, qui ne faisaient pas un groupe à part, pour échanger sur la vie de la communauté et voir comment chacun évoluait dans les activités qui étaient les siennes. Étant une communauté essentiellement constituée d’étudiants, nos horaires de la communauté était établis en fonction des horaires de nos universités respectives. L’équilibre entre la vie de communauté et nos études était à faire et refaire suite aux imprévus liés au programme des cours. Tous, nous avons dû chercher ensemble à établir cet équilibre dans le quotidien. Nos réunions communautaires, nos récollections et retraites et autres activités organisées par la communauté nous ont aidés à marcher ensemble comme frères partageant la même vocation missionnaire. Il y a beaucoup plus de joie à donner qu’à recevoir ! Oui cela n’est peut-être pas perceptible au départ dans un contexte où toutes les énergies sont centrées sur les études (cours, travaux, sessions, etc..). Au fur et à mesure que l’on avance, on se rend compte que ce qu’on reçoit dans la douleur, parfois à coup de force, se donne ensuite dans l’enseignement avec enthousiasme et passion. Mes quelques années d’enseignement me l’ont bien montré car, après mes années d’études en théologie biblique, j’ai passé quelques années comme formateur à la première étape (philosophat de Kimbondo) à Kinshasa. Au cours de ces quelques années d’enseignement, j’ai réalisé que transmettre ce qu’on a reçu, quelles que soient les conditions, demande certes des efforts de préparation, d’adaptation, de remise à niveau que nous impose notre monde qui est en pleine mutation, mais procure beaucoup plus de joie à partager ce qu’on a soi-même reçu.
Odon Kipili Manda