
A l’heure où Jésus passait de ce monde à son Père, il disait à ses disciples : ‘Mon commandement, le voici : aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés. Il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ses amis’ (Jn 15, 12-17).
J’ai connu des tas de communautés où il n’y a jamais de récréation. Tout est fixé sur la télévision. On mange pour être à l’heure à la télé. Alors, comme certains sont lents, les pressés vous enlèvent l’assiette de dessous le nez. Ils ont un argument ‘béton’ : ils font ça pour la bonne cause, la vaisselle. Et ils vous font remarquer qu’en plus d’être en retard, vous ne faîtes pas la vaisselle avec eux.
Nous sommes prisonniers de notre culture, d’une certaine façon de vivre, à nous.
Nous sommes tellement occupés à faire des choses pour les gens que nous n’avons plus le temps d’écouter ceux qui en ont un immense besoin. Pourtant, être missionnaire, c’est manifester l’amour de Dieu par notre Eglise et par la Société à laquelle on appartient.
“L’amour de Dieu, oui, mais l’amour du travail, qu’est ce que vous en faites ?” Bien sûr, on ne va pas dire à des Suisses de ralentir leur travail ; ça fait partie de leur culture, à moins de revoir leur position de témoins de l’amour de Dieu. C’est la façon de faire qu’il faut revoir.
Quand on lit l’histoire de la Société, on découvre que les frères (j’y inclus les sœurs) sont parfois meilleurs témoins de Jésus-Christ que les pères. Prenons un exemple des débuts de la Société : les missionnaires qui ont construit l’église de Bukoba, en Tanzanie, étaient des Pères Blancs venus de l’Ouganda, d’où ils avaient été chassés. Eh bien, les meilleurs témoins, c’étaient les frères ; ils ont construit des églises ; ils travaillaient dur. Mais ils devaient respecter les règles du travail et, avec les ouvriers, ils arrêtaient le travail à 4 h de l’après-midi. Ils se lavaient ; puis, ils avaient du temps. Ils avaient appris à aimer leurs ouvriers, comme des collègues de travail, des amis. Et, le dimanche, comme ils ne pouvaient pas travailler, ils allaient visiter les familles de leurs ouvriers. Les frères, par la manière dont ils vivaient au quotidien, sont parfois davantage témoins de l’amour de Dieu que certains curés qui prêchent l’évangile en paroles, mais n’ont souvent pas le temps de le prêcher en actions.
Voici la dédicace du livre « Histoire des Missionnaires d’Afrique (Pères Blancs) à l’époque coloniale 1919-1939 » du père Francis Nolan : « Je dédie ce livre aux Frères qui ont toujours reçu moins d’égards que leurs confrères prêtres. Je le dédie à ces Frères dont le dévouement et l’ingéniosité resteront gravés dans la pierre des cathédrales, des églises, des écoles et des ateliers bâtis de leurs mains, et cela, bien longtemps après que le souvenir des Pères aura disparu. »
Le grand obstacle à l’amour de Dieu, c’est le dessus qu’a pris sur nous notre culture de l’efficacité et du rendement. Et quand nous tombons avec des confrères africains, il y a friction. Vous vous rendez soudain compte que votre culture est centrée sur le travail et la leur sur les relations entre les personnes : on parle, on discute. Quelqu’un disait, en forme de boutade : “L’idéal dans une communauté, c’est d’avoir un prêtre européen et un prêtre africain : il y en a un qui travaille, boulot, boulot … ; l’autre, c’est celui à qui on peut parler !”
Le Christ est venu dans le monde pour que le monde soit sauvé
Comment a-t-il fait ? D’abord, il prend tout son temps. Il commence par ne pas commencer son ministère avant 30 ans, sans s’impatienter. Parce que sa culture lui disait de ne pas parler avant 30 ans. Il respecte sa culture. Que fait-il pendant les trois ans qui ont suivi ? Eh bien, il prend le temps d’aller à Cana. Pendant les week-ends, il va voir Marthe, Marie et Lazare. Après coup, quand Lazare est mort, on a pu dire de Jésus en le voyant pleurer : “Voyez comme il l’aimait “
Puis, à peine arrivé chez Pierre, voyant que sa belle mère est malade, il la guérit. Ce qui frappe chez le Christ, c’est qu’il est témoin de l’amour de Dieu par la manière dont il est attentif aux besoins des autres. Sommes-nous attentifs au besoin qu’on a de faire des choses pour les autres ou aux besoins des autres ?
Un jour, je viens voir un ami avec lequel je travaillais pour un livre. Je lui dis: “Dis donc, je viens te voir parce qu’il y a ce travail à faire et que …” J’explique, je m’excite et, au bout de 10 minutes, mon ami me dit : “Bonjour, Père, comment allez-vous ? Comment vont les autres Pères ?” De ce que j’avais dit, il n’avait rien gardé, parce que je ne l’avais pas salué !
Nous sommes témoins de l’amour de Dieu par la manière dont nous traitons les autres. Combien de fois quelqu’un vient nous voir ; comme ce n’était pas prévu, cela nous énerve parce que cela nous empêche de faire notre travail. Notre travail, évidemment, c’est un travail absolument indispensable ; comme l’autre nous interrompt, eh bien, on ne prend pas le temps d’être le témoin de l’amour de Dieu : on fait montre seulement de notre impatience.
Jésus porte une attention toute spéciale aux marginaux, exclus, veuves, lépreux. Aujourd’hui, l’amour de Dieu est révélé par toute personne qui sait écouter et consoler, particulièrement par ceux et celles qui se sentent appelés vers ceux qui, dans la culture de l’efficacité, sont laissés sur la touche. « Mon commandement, le voici : Il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ses amis. »
Par: Raphaël Deillon, M.Afr.