« Où est mon cœur ? » 125 ans d’Evangélisation en Zambie (PE n° 1078)

Le titre de cet article est assez particulier, mais il peut orienter nos pensées, et nous inviter à relever un défi.

Récemment j’ai donné une conférence à des étudiants missionnaires Oblats et ils avaient choisi comme thème : «La formation avec une orientation missionnaire». Le point principal de ma présentation était sur la mission de St-Paul «Être tout à tous» (1Cor.9:19-23). Cela est pour moi le cœur de la vie missionnaire; c’est ce que j’ai vu et ce qui m’a touché chez les Pères Blancs il y a plus de 25 ans, même avant de me joindre à eux. J’ai observé et senti qu’ils étaient envoyés à tous et pas seulement aux catholiques. La mission de St-Paul de devenir tout à tous était modelés sur le Christ; «l’homme de toutes les saisons». Comme Jésus, bien qu’il était Dieu a pris « la condition d’un esclave», St-Paul a aussi simplifié son style de vie et ses préférences dans le but de tout gagner pour le Christ. Le fait d’adapter sa vie et d’être prêt à faire un effort supplémentaire n’est pas seulement un point de départ pour une grande mission, mais aussi une forme d’évangélisation invitant les personnes à venir au Christ. Nous nous moquons parfois du Père Joseph Dupont surnommé Motomoto qui est devenu le «mari» des femmes du Grand Chef Mwamba, mais combien de personnes a-t-il gagné pour le Christ? L’histoire raconte qu’au moment où le Chef était mourant vers 1899, il a rassemblé ses conseillers et a «donné» ses femmes et son royaume à Motomoto. N’est-ce pas l’origine du célèbre livre «Roi des Brigands»? Vers 1898 dans la région de Chilubula, Motomoto avait déjà établi des liens d’amitié avec le Chef Mwamba. Celui-ci était différent de son père le Grand Chef Chitimukulu qui n’avait pas accepté que les Pères Blancs s’établissent dans son royaume.

Dans l’esprit d’être tout à tous, les missionnaires lavaient les plaies des malades et préparaient les bandages, donnaient des injections et des médicaments. Parfois leurs voitures servaient d’ambulances lorsqu’ils étaient réveillés durant la nuit pour conduire un malade ou une femme enceinte à l’hôpital central. Je crois que tout cela a aidé les gens à s’ouvrir et à accueillir la Bonne Nouvelle. Dans ma façon de penser il n’y a pas de prêtrise ou de vie religieuse qui se définisse dans un cadre fermé. La prêtrise est un moyen par lequel nous pouvons propager et accomplir la mission du Christ. L’évangélisation est un archétype qui doit se réinventer à chaque étape de la vie. Les archétypes comme l’évangélisation de l’Afrique que le Cardinal Lavigerie a conçu ont émergé de la pensée humaine.

Le mot “évangéliste” vient du mot Grec εὐαγγέλιον (traduit par euangelion) via le latin evangelium. Le mot grec εὐαγγέλιον signifiait à l’origine une récompense donnée au messager pour une bonne nouvelle (εὔ = “bonne”, ἀγγέλλω = “j’apporte un message”; le mot “ange” vient de la même racine qui a été traduit plus tard par “bonne nouvelle” (Notes de cours de Bible 1991). Les archétypes sont des modèles de référence qui donnent souffle ( inspiration) et profondeur (matérialité) à des événements dans le monde extérieur (Les archétypes de Carl Jung, 1959). Pour certains individus comme pour notre Cardinal, les événements et l’histoire s’y prêtaient, favorisant l’émergence de ces archétypes; nous étions au cœur de l’histoire tout comme aujourd’hui. Les missionnaires ont été saisis par l’archétype de l’évangélisation de l’Afrique et pour cela ils se sont engagés sur la route de la mission il y a 150 ans.

Engagement à la mission du Christ: L’engagement était très important pour les missionnaires, c’est probablement la raison pour laquelle ils se donnaient complètement à leur apostolat. Ils continuaient avec le même courage et ténacité même si d’autres abandonnaient. Cette énergie de travailler dur chaque jour a donné bonne impression sur certains d’entre nous qui avons répondu à l’appel missionnaire il y a 25 ans. J’ai célébré en 2016 mes 25 ans de prêtrise à la paroisse de Luena en Zambie. Comme jeunes missionnaires, est-ce que nous avons le même zèle et la même disponibilité dans notre engagement que nos ainés? Comme servants de messe nous visitions les succursales avec les missionnaires durant les vacances. Nous participions avec eux aux classes des catéchumènes, nous aidions aux célébrations de mariage et les visites à domicile. Nous étions contents de revenir à la mission après tout cet apostolat. A cette époque, la visite des villages et l’enregistrement des fiches pour connaître les familles faisaient partie de l’évangélisation. Dans le processus d’évangélisation, les missionnaires apportaient le bonheur et l’épanouissement des personnes.

Disponibilité au peuple de Dieu : Dans le passé le bureau paroissial était ouvert 7 jours sur 7. Cela est différent aujourd’hui : nous ouvrons la porte quand une personne vient frapper, mais nous donnons l’impression que nous n’avons pas le temps ou que nous ne voulons pas être dérangés. Quand j’étais jeune, je voyais que lorsqu’un prêtre sortait du bureau un autre entrait pour recevoir les gens. Cela me rappelait le film de Bruce Lee «Sort le dragon Entre le tigre». Ils étaient sérieux et solides dans le domaine de la foi. Quand une personne entrait au bureau, on lui demandait si elle recevait tous les sacrements. Je dois aussi reconnaître qu’il y avait différents tempéraments, certains étaient modérés, d’autres plus sévères. Certains prêchaient avec passion et parfois faisaient peur aux enfants qui se mettaient à pleurer.

L’esprit de service : Les Pères Blancs étaient les serviteurs de Dieu et de la population avec humilité. Ils n’attendaient pas que les gens viennent à eux, mais ils allaient à leur rencontre pour mieux les connaître. J’ai connu des Pères Blancs qui venaient régulièrement à notre village pour boire la bière tels que P. Cletus Gerrie van Erp et P. Anton Buys. Ils faisaient cela pour se familiariser avec les gens et approfondir leur connaissance de la culture. Tout le village est devenu catholique, même ceux qui prétendaient être d’autres religions se sont aussi convertis.

L’émergence des nouvelles églises «champignons» est un phénomène qui est survenu après le départ des Pères Blancs. J’aimerais souligner que ceux qui ont été évangélisés sont devenus des évangélisateurs dans la «Copperbelt» et d’autres parties de la Zambie parce qu’ils avaient reçu une catéchèse solide. Quand les Franciscains Italiens sont arrivés dans la «Copperbelt» dans les années 30 au début de l’exploitation des mines, ils ont trouvé des groupes de jeunes hommes et femmes du nord de la Zambie et de Luapula qui se réunissaient déjà pour prier le dimanche matin. Cela a donc été plus facile de développer des paroisses.

Le laisser aller de la mission : De nos jours nous faisons face à un certain laisser aller de l’évangélisation et même de la prêtrise. Pour certains, il y a une réticence à apprendre la langue locale, ce qui est un handicap pour le travail pastoral. D’autre part, si quelqu’un passe la nuit à regarder des films ou autre sur Internet, aura-t-il l’énergie le lendemain matin pour aller travailler dans une succursale? D’autres luttent avec la consommation d’alcool ou développent des liens d’amitié avec les sœurs ou encore ont une vie de prière limitée, etc.. On m’a déjà posé la question suivante: «quand tel père était ici, il avait l’habitude de lire un petit livre de prière et disait son rosaire en marchant, et toi, est-ce que tu as un petit livre de prière, et est-ce que tu pries le chapelet?» Ah, hum.

Le zèle pour la mission : Les premiers missionnaires étaient des gens de pastorale et étaient remplis de zèle pour la mission. Aujourd’hui, est-ce que tu as ce zèle pastoral? Où sont nos cœurs? Ubulimi bwakale tababutalalikishako mwana; “Mon enfant arrête de te plaindre de la faim, j’ai déjà été un bon fermier avec beaucoup de nourriture» signifiant «que tu ne peux pas toujours revenir en arrière en contemplant les succès que tu as eu». Nous devons réinventer la mission aujourd’hui. Nous avons besoin de penseurs pour réfléchir sur la mission d’aujourd’hui, autrement nous n’avancerons pas. C’est la raison pour laquelle je disais que l’évangélisation est un archétype, et si nous ne réfléchissons pas sur ce point nous allons rester bloqués alors que le ciel est la limite quand il s’agit de l’évangélisation. Aujourd’hui il y a des défis dans la vie sociale, des problèmes au niveau politique, la pauvreté en Afrique, les réfugiés. Quelle pourrait être notre contribution face à la réalité d’aujourd’hui?


Patrick Mumbi, M.Afr.
(Petit Echo n° 1078)

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