Comme de nombreuses régions d’Afrique, les pays des Grands-Lacs sont exposés à beaucoup de violations des droits humains, entre autres à la suite de la succession des cycles de violence depuis des décennies, généralement basée sur l’ethnisme. Si l’on prend la situation de la RDCongo, la violation des droits humains est largement structurelle. On peut citer le manque d’accès aux soins de santé pour les plus pauvres, de sécurité alimentaire, d’ordre public, d’accès à la justice, à l’enseignement moyen et supérieur, l’insuffisance de création d’emplois, etc. À cela s’ajoutent des violences physiques à l’état endémique, que ce soit dans les quartiers urbains, sur les routes, ou dans le cadre des conflits armés qui ont provoqué plus de sept millions de déplacés internes. Les premières victimes de ces violences sont les femmes et les enfants.
A Bukavu
Je travaille dans la ville de Bukavu qui est devenu tentaculaire à la suite de l’afflux des déplacés de l’intérieur. Parmi eux un grand nombre de femmes et d’enfants victimes de violences basées sur le genre ou qui errent dans les rues, au prix de la prostitution.
Toute la société est marquée par ce traumatisme structurel, régional, aggravé par la banalisation du viol dans la plupart des milieux et l’utilisation des violences basées sur le genre comme « arme de guerre » (entre autres, en vue d’un nettoyage territorial ou d’une soumission d’une population par la terreur).
Les raisons principales de ces abus sont d’ordre politique et économique, les deux allant de pair. Une minorité exploite une immense majorité sans avenir ni protection sociale. Étant donné la richesse des sous-sols et des ressources naturelles (forestières, hydrauliques), les entreprises internationales sont complices et coupables de la mise à sac de ce pays d’une immense richesse.
Nous pouvons contribuer à la libération de ces populations par des témoignages prophétiques divers. Il y a tout d’abord le travail de dénonciation et de plaidoyer. Nombre de lettres de la Conférence épiscopale nationale (CENCO) dénonce avec force toutes ces injustices depuis des décennies, sans que cela entame réellement l’impunité des gens au pouvoir. Des Commissions Justice et Paix existent dans tous les diocèses, les paroisses et parfois les communautés de base, qui font de la sensibilisation et de la formation avec courage. Certains confrères collaborent avec elles dans la mesure du possible. Dans chaque secteur, il y a un responsable Justice et Paix M. Afr., mais celui-ci sait que s’il engage des actions judiciaires pour protéger des victimes, il s’expose à des dépenses imprévisibles, vu la vénalité du système judiciaire, ainsi qu’à des risques de rétorsions, surtout si elles sont étrangères, ce qui est plus souvent le cas.
Une autre façon de lutter contre la violation des droits humains de façon prophétique est de garantir ou de restituer leurs droits aux personnes les plus vulnérables provenant des périphéries. Je présente ici deux exemples d’engagements que j’ai pris depuis plus d’une décennie avec le soutien financier d’amis. Tout en reconnaissant la valeur de ces œuvres qu’elle encourage, la Société n’y est pas officiellement engagée.
Deux exemples
Ces programmes concernent deux catégories de jeunes particulièrement vulnérables. Les jeunes filles victimes de misère ou en situation de rue, ou ayant subi des traumatismes d’ordre sexuel, etc. Les garçons utilisés comme esclaves dans les mines d’or dans des conditions d’extrême précarité et qui en retirent juste de quoi survivre.
Le premier projet, le centre Nyota, situé sur la paroisse de Kadutu dépend du diocèse de Bukavu (qui fournit les locaux). Depuis 2010, je m’y suis investi afin d’assurer le financement des salaires, des frais de fonctionnement et de l’entretien des bâtiments. Le centre accueille en journée 250 à 260 jeunes filles et fillettes d’une extrême vulnérabilité. On a vérifié que la famille n’a aucune ressource pour les prendre en charge, s’il existe encore une famille. L’objectif est de permettre à ces jeunes de se reconstruire psychologiquement et moralement, en les alphabétisant, en leur donnant accès à des diplômes, et en leur enseignant un métier afin de les rendre autonomes. Celles qui ne sont pas dans leur famille sont accueillies dans des foyers d’accueil. Une équipe de 16 personnes dont une religieuse les prend en charge dans tous les domaines, en commençant par la fourniture des uniformes et du matériel scolaire, en passant par la scolarisation et l’accompagnement psychologique, et pour une soixantaine d’entre elles, en leur fournissant une bouillie protéinée quotidienne, en fonction de l’état de délabrement de leur santé. La formation dure de 3 à 5 ans. Elle est entièrement gratuite. Les finalistes ont accès à deux jurys, le jury d’école primaire et le jury provincial de couture. Celles qui ont réussi peuvent poursuivre d’autres études, un certain nombre reçoivent également un kit de réinsertion qui leur permet de commencer leur petit projet générateur de revenus. Actuellement nous avons 100 % de réussites aux deux jurys. Or, un grand nombre de ces filles n’ont aucune pièce d’identité, ce qui les rend extrêmement vulnérable quand elles commencent un projet économique en quittant la formation. C’est pourquoi nous avons engagé un avocat qui prépare les dossiers avec la directrice en vue d’obtenir ce que l’on appelle un « jugement supplétif », qui débouche sur un acte de naissance pour chaque enfant. Il lui permet d’obtenir une carte d’identité. Grâce à cela nos anciennes ont pu voter aux dernières élections. Ceci illustre bien le travail que nous faisons concernant les droits humains. Avant de venir chez nous, ses enfants n’« existaient pas ».
L’autre projet concerne les jeunes exploités dans les mines, à Kamituga, dans le diocèse d’Uvira. L’école de menuiserie de la paroisse forme ces jeunes au métier de menuisier, en leur fournissant les bases nécessaires pour commencer leurs petites menuiseries ou se faire embaucher dans une entreprise. À la fin de l’année de formation, ils reçoivent, eux aussi, un kit de réinsertion avec les outils de base. Afin de leur donner un meilleur avenir professionnel, nous construisons actuellement un grand atelier où va être installé un ensemble de machines à bois électriques qui leur permettront de se professionnaliser.
Ces deux projets sont financés par un réseau d’amis. Certains sont des amis des Missionnaires d’Afrique, d’autres sont engagés dans mon réseau d’entraide « Germes d’espérance ».
Le réseau Talitha Kum
Je suis enfin engagé dans le réseau Talitha Kum qui lutte contre le trafic humain dans le monde entier et particulièrement en Afrique. Ce réseau, fondé par l’Union internationale des supérieures générales (UISG, Rome) en 2009, lutte contre la traite humaine, surtout des femmes et des enfants, souvent dans des buts de prostitution ou d’ablation d’organes. Les réseaux de traite profitent de l’aspiration des jeunes africains à partir à l’étranger à tout prix. Talitha Kum mène des actions de prévention, d’accompagnement de ceux et celles qui ont décidé de migrer et enfin de rapatriement des victimes qui veulent rentrer au pays. Ce réseau mène aussi un travail de plaidoyer et de dénonciation. Une forme de prévention contre la traite, selon moi, est le travail que font les deux centres que nous gérons en RDC. En effet, un jeune qui a un métier et qui a reçu le matériel pour son auto-prise en charge est beaucoup moins tenté de migrer dans des conditions précaires.
La plus belle récompense pour cet investissement est le sourire, chaque année, des finalistes qui ont retrouvé leur dignité et s’engagent avec espérance dans un avenir meilleur.
Par: Bernard Ugeux, M.Afr.