« Veillons à tout faire pour que leur retraite reste aussi active que possible » (AC.5.3-a)
Ce souhait des Actes Capitulaires demeure l’obsession parfois douloureuse mais toujours récurrente de tout responsable de communauté de confrères âgés. Il y a bien longtemps, c’était dans les années 80, j’étais alors infirmier dans notre maison de retraite à Tassy durant trois années formidables mais pas faciles. Aujourd’hui, je me retrouve depuis trois ans responsable de notre maison de retraite à Bry sur Marne. Au cours de ces deux services aux conditions complètement différentes, j’ai essayé de faire tout ce que je pouvais pour que ce vœu ne reste pas un vœu pieux. Mais il y a des évidences qu’on ne peut taire, et que je voudrais avant tout ici rappeler.
Une maison de retraite n’est pas le noviciat : on ne peut pas considérer nos confrères âgés comme des « jeunes en devenir ». Bien au contraire, chaque confrère a un vécu extraordinaire, d’une richesse incalculable, avec une foule d’expériences personnelles uniques, et aucun moule, Dieu merci, n’a pu leur faire perdre leur personnalité ; il n’est donc surtout pas question de les enfermer dans un système quel qu’il soit dans nos maisons appelées à bon escient « maisons de repos » : chacun d’eux a écrit à sa façon et librement une page de l’histoire de l’Eglise d’Afrique, et chacun d’eux est digne d’admiration, et encore plus de respect de sa liberté.
La maison de repos des confrères à Bry-sur-Marnes
Les disciples de Jésus sont revenus de leur mission enthousiastes mais fatigués. Et Jésus n’a pu que proférer une invitation qui venait du plus profond de sa compassion, et bien plus encore de son immense respect pour chacun d’eux : « Venez vous reposer ! » N’est-ce pas là la meilleure invitation que nous puissions offrir à nos confrères de retour définitif d’Afrique, et qui vont souvent encore ajouter à leur épuisement d’autres années actives au service de leur Province d’origine, avant d’être invités enfin à prendre un peu de repos ? Car ils sont fatigués mais ils ne le savent pas encore ou bien le cachent de peur d’être nommés dans un « mouroir ». Mais une fois franchi à reculons le seuil de notre maison, beaucoup oublient très vite toutes les exigences pastorales qu’ils avaient formulées avant leur entrée car, libérés soudainement de tout souci, la fatigue qu’ils cachaient en eux subitement les écrase. Ils apprécient alors d’avoir moins de soucis matériels, une belle chambre nettoyée tous les jours par le personnel, des repas adaptés, une vie spirituelle bien organisée, au sein d’une communauté nombreuse ô combien réconfortante. Oui, ils peuvent enfin « se reposer », car ils l’ont largement mérité.

Messe dans la communauté de Bry-sur-Marnes
Alors, « une retraite aussi active que possible » ? C’est avant tout respecter leur liberté. Il y a ceux qui aiment lire ou écrire, il y a les accros au Web, il y a ceux qui, s’ils le peuvent encore, sortent de temps en temps en paroisse, il y en a qui passent du temps devant la télévision, d’autres à la chapelle, il y a ceux qui aiment bricoler, il y a ceux qui jouent, il y a ceux qui se promènent, il y a ceux qui visitent les confrères malades ou dépendants, il y a ceux qui vont visiter des expositions, il y a ceux qui tout simplement rêvent… Mais tous ont un point commun : ils s’écoutent vieillir, ils épient inconsciemment les premiers symptômes de la maladie, des infirmités, de la dépendance… ou leur aggravation, et tout cela conditionne leur emploi du temps. Les en distraire ? Au nom de quoi les empêcher de vivre leur « aujourd’hui » dans la foi et l’abandon? Et puis, dans le mot « vieillir », n’y a-t-il pas le mot « vie » ? Et si vivre à leur âge était tout simplement vivre le présent du mieux possible, chacun à sa façon, tout en appréciant la vie de communauté toujours essentielle à leurs yeux ? Et le rôle du responsable est alors d’accompagner leur liberté pour créer un climat général propice au vécu adapté à l’aujourd’hui de leur vocation missionnaire éternelle. Tout alors doit être bon pour vivifier une vie de communauté d’une grande richesse dans son incroyable diversité. Il y a bien sûr le cadre inamovible d’une maison de retraite avec ses horaires adaptés, et bien plus encore ici à Bry dans notre EHPAD (Etablissement d’Hébergement pour Personnes Âgées Dépendantes) avec en plus ses quinze laïcs, mais il doit y avoir surtout le souci d’ouvrir chacun au monde d’aujourd’hui et d’y être activement présent par le souvenir (mais oui…), par la rencontre, par l’ouverture, par les échanges, et plus encore par la prière. On peut organiser toutes les « sessions » (AC.5.3-b) du monde, faire tous les « jumelages » (AC.5.3-g) fructueux imaginables, si leur personnalité n’est pas respectée, c’est tout leur « aujourd’hui » qui devient triste.
« Un grand merci à nos aînés pour l’assiduité de leur prière pour la Mission en Afrique. » (AC.5.3-c)
Un confrère très âgé me confiait à la lecture de ce passage cette réflexion : « S’ils s’imaginent que, parce que, en fin de vie, il nous est plus facile de prier que lorsque nous étions jeunes… »
Oui nos confrères âgés essaient de prier de leur mieux pour la Mission en Afrique ; n’oublions jamais qu’eux aussi, en cette période cruciale de leur vie terrestre, ont besoin de notre prière !

Clément Forestier