On va lire ci-dessous la préface célèbre que le cardinal Lavigerie a rédigée, en mars 1884, pour la publication d’un ensemble de ses écrits pastoraux. Par delà le style daté par l’époque et certaines réflexions historiques dont on sait aujourd’hui qu’elles étaient caduques, ce texte garde une inspiration et un souffle apostoliques qui nous touchent encore aujourd’hui. Et on pourra y reconnaître quelques phrases restées célèbres dans la mémoire vivante de la Société des Missionnaires d’Afrique.
« C’est pour vous surtout, mes fils bien-aimés, que je publie ces deux volumes. C’est à vous que je les dédie. Les écrits qui les composent traitent des missions barbares dont vous avez la charge avec moi, et pour lesquelles nous avons tout abandonné ici-bas, même le sol de la patrie. Ils vous rappelleront donc mes pensées, mes conseils, mes luttes d’un quart de siècle. Au fond, sous des formes diverses en apparence, un seul sentiment les inspire. C’est celui que Notre- Seigneur demandait à Pierre pour en faire le chef de ses Apôtres ; celui que saint Augustin, le docteur de notre Afrique et de toute l’Église, proclame la loi unique des chrétiens ; celui que j’ai pris moi-même pour devise : l’amour, l’amour de Dieu et celui de tant de pauvres âmes abandonnées. Cet amour m’a soutenu au milieu des difficultés et des travaux qui ont usé ma vie avant l’heure. C’est aussi lui qui vous donnera la force, l’abnégation héroïque, la persévérance nécessaires pour retirer, peu à peu, de la mort les peuples auxquels vous êtes envoyés.
Aimez-les donc comme une mère aime ses fils, en proportion de leur misère et de leur faiblesse. Aimez l’Afrique qui est loin de nous pour les plaies saignantes de son esclavage, pour les cris de douleur qui s’élèvent, depuis tant de siècles de ses profondeurs ; l’Afrique qui est plus voisine et qui a été chrétienne autrefois, pour ses infortunes passées, et pour ses grands hommes et ses saints. Aimez, quoique vous en ayez souffert, quoi que vous en puissiez souffrir encore, les deux races qui s’y trouvent en présence et qui doivent, dans les desseins de la Providence, se fondre en un seul peuple. Aimez celle qui arrive, avec l’activité, l’énergie et quelquefois les impatiences de l’enfant qui, dès le berceau, annonce déjà, par l’ardeur même de ses colères, la vigueur de son âge mûr. Aimez la vieille race que nous y avons trouvée, formée de dix races diverses, où le sang chrétien a laissé sa trace ; Aimez-la avec ses souvenirs, ses légendes, ses traditions de respect et de foi, la résignation stoïque qui l’immobilise dans son sépulcre. Aimez-les toutes deux pour leur apprendre un jour, enfin, « ce qui doit leur donner la paix » (cf. Luc XIX 42). C’est le seul sentiment que vous retrouverez, sous des formes diverses, je le répète, dans chacune de ces pages.
Les patriarches ont aimé jusqu’aux pierres de Sion, symbole pour eux de tant d’espérances. A leur exemple, j’ai tout aimé dans notre Afrique, son passé, son avenir, ses montagnes, son ciel pur, son soleil, les grandes lignes de ses déserts, les flots d’azur qui la baignent. Mais pour exprimer ces pensées, je n’ai point recherché les secours de l’art. Je donne au public ces écrits tels qu’ils sont sortis de ma plume, sous l’empire des impressions, des nécessités, des périls de chaque jour. Puissent ces accents de mon coeur, de ma foi, conquérir à votre apostolat des sympathies et des secours nouveaux. Puisse ma voix continuer à se faire ainsi entendre de vous ! Elle se taira bientôt dans ce monde, mais du fond de la tombe elle vous tiendra les mêmes discours qu’elle vous tient depuis tant d’années : Voix qui crie dans le désert : rendez-droit le chemin du Seigneur ! »
Carthage, le 27 mars 1884,
anniversaire de ma translation à l’archevêché d’Alger.
Cardinal Charles Lavigerie
Du Mini-lien n° 476 du 1er septembre 2018 :
8ème texte de réflexion pris dans les documents de nos Sociétés.