La nécessité d’un constant recyclage (Petit Echo n° 1088 – 2018/02)

On me demande d’écrire pour le Petit Écho. J’y ai déjà publié six articles concernant l’IBLA (Institut des belles lettres arabes) de Tunis, en 1972 sur la bibliothèque, en 1977 pour les 40 ans de la revue, en 1987 pour les 50 ans, en 2008 sur l’ensemble de l’œuvre, et de nouveau en 2008 sur les 70 ans de la revue, sans compter un article en 1991 sur mon voyage au Sahel.

Oui, j’ai eu la chance de participer à la session des séniors en 2013. Cela fait donc déjà quatre ans. Quand je m’y suis inscrit, c’était pour me distraire. Déjà, j’avais été actif pendant la session de trois mois à Jérusalem en 1993. Sachant que c’était une mise au point spirituelle, je m’y suis préparé en entrant en psychanalyse, cette dernière devant servir de préparation psychologique. Mon objectif, dans ces deux démarches, était de me préparer à bien mourir. Puis est venue la session de transition à Rome en 2005. Elle comprenait aussi une retraite de huit jours. Connaissant les animateurs, je savais que la session des séniors serait du sérieux tout en étant détendu.

En outre, deux autres facteurs jouaient en faveur de ma décontraction. Le premier concerne le passé. Je n’ai pas assisté à des massacres de population dans mon existence missionnaire en Tunisie et je n’ai pas été expulsé brutalement du pays où je vis. Le second regarde l’avenir. Je suis toujours actif en Tunisie à l’âge de 81 ans. Il n’est pas question, pour le moment, que l’on me demande d’aller en Europe. Pour certains participants, ces deux difficultés constituaient un handicap à surmonter. Ce n’était pas mon cas.

Jean donnant une conférenceau Centre culturel international de Hammamet.

Enfin, je suis toujours content de venir à Rome. Je la connais pour y avoir étudié en 1964-65 à l’IPEA qui allait devenir le PISAI (j’ai d’ailleurs soutenu la tesina n° 1 dudit Institut), puis à trois reprises comme professeur pour un trimestre au même Pisai (1976, 1977 et 1981) pour enseigner la littérature arabe moderne et la traduction. Et l’évêque de Tunis m’y a envoyé pour un colloque sur les prisons. Donc la session était une occasion de me retrouver dans cette ville que j’aime et dans laquelle je marche à pied avec plaisir. Il se trouve aussi que je connais quelques professeurs d’arabe des universités italiennes avec lesquels j’ai collaboré et que je revois volontiers.

Jean devant la petite chapelle du cardinal Lavigerie à La Marsa.

Je considère la formation « permanente » au sens strict du terme, c’est-à-dire sans interruption, et non pas une formation en sessions tous les dix ans. J’ai bien profité de ces dernières, mais j’ai toujours eu la curiosité de me tenir au courant des dernières découvertes de l’exégèse (par exemple, j’ai suivi un recyclage de six mois en analyse structurale de l’Écriture sainte à Lyon en 1979-80, et de nouveau six mois à Ottawa en 1999-2000) et même de la théologie.

Ce ressourcement constant fait partie de ma responsabilité missionnaire. En effet, les Tunisiens sont à 100 % musulmans. Certains d’entre eux commencent à lire le Coran selon les critères des sciences humaines occidentales. D’où leur trouble : ils se sentent désemparés devant les remises en question qui en découlent après 14 siècles de lecture littérale du texte. Si je n’ai pas suivi le même chemin, si je me contente de réciter une leçon apprise au cours de ma première formation, si en outre je n’ai pas balayé d’abord devant ma porte concernant l’organisation et l’attitude de l’Église, alors à quoi je sers dans ce pays ? Ne vaudrait-il pas mieux pour moi, dans ce cas, de faire ma valise et de rentrer chez moi (si tant est que j’aie encore un chez moi) ?

Lors de son anniversaire de 80 ans, Jean joue de la clarinette dans son bureau à la Marsa.

J’insiste sur la nécessité d’un constant recyclage à propos de la théologie des religions. D’une manière générale, les musulmans vivent dans la perspective du permis/défendu. Comment passer à la perspective du bien/mal ? Ayant très peu de guides spirituels, ils sont heureux de trouver quelqu’un qui est à l’aise dans leur tradition religieuse, quelqu’un qui puisse partir des mystiques musulmans pour leur montrer une voie permettant de sortir du juridique pour déboucher sur l’éthique. Dans les trois monothéismes, des penseurs ont montré la voie. Pour les juifs, on trouve Hans Jonas (1903-1993), et son livre Le principe responsabilité (1979) ; pour les chrétiens ce pourrait être Dietrich Bonhoeffer (1906-1945) avec deux ouvrages posthumes : Éthique (1965) et Résistance et soumission (1973) ; enfin Noureddine Bidar (né en 1971) représenterait les musulmans avec ses livres Self Islam (2006) et L’islam sans soumission (2008). Voilà trois hommes de foi qui sont de bons guides pour sortir de la prison des religions. Cela peut-il être l’objet d’une session éphémère ?

Jean Fontaine, M.Afr.
IBLA, Tunisie

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.