C’est dans son diocèse d’origine cette fois que notre confrère Stéphane Joulain partage son expertise, très appréciée, avec des prêtres, religieux et laïcs engagés dans le diocèse. L’article ci-dessous est tiré du journal “Ouest-France” du 22 mars 2019. Son journaliste, Thomas Heng, avait été invité aux conférences et aux assemblées générales. Ce poste est réservé aux Missionnaires d’Afrique pour des raisons de copyright.
Le vicaire général du diocèse de Nantes, François Renaud. | OUEST-FRANCE170 prêtres et laïcs se sont pressés à une formation de lutte contre les abus sexuels, mercredi, à Nantes. Sans discours convenus. Pour les catholiques. l’urgence est décrétée.
Mardi. à Rome. le pape François refusait la démission de l’archevêque de Lyon. le cardinal Philippe Barbarln, condamné à six mois de prison avec sursis pour non-dénonciation d’agressions sexuelles sur mineurs.
Quelques heures plus tard, à 1 500 kilomètres du Vatican. à la maison diocésaine de Nantes, 170 prêtres, diacres et laïcs missionnés participaient à une journée baptisée ” Luttons ensemble contre la pédophilie en Église », Sujet sensible et douloureux.
« Crise des abus sexuels »
Le diocèse, dans une démarche de transparence, a accepté notre présence. On redoutait un certain « ronron » Au contraire, ici, pas de discours pesés au trébuchet, de précautions oratoires, de circonvolutions.
Mettre le fer dans la plaie pour vider l’abcès de la « crise des abus sexuels ». L’intervenant venu de Rome, Stéphane Joulain. père missionnaire, psychothérapeute formé en criminologie, sait faire. Il est spécialiste de la lutte contre la pédophilie. « Régler le problème en autorisant le mariage du prêtre ? Mettre une femme dans le lit d’un pédophile n’a jamais réglé la question. » Le ton est donné.
« Pour beaucoup, constate-t-il, le synonyme de « prêtre » c’est devenu « pédophile ». L’Église essaye de régler ces questions depuis le… III° siècle. » À la pause déjeuner, il précise : « Si on applique toujours la même solution à un même problème en espérant le résoudre, on n’est pas loin de la folie. »
D’abord, donc, se départir de réflexes ancestraux. « Quand un père est mis en cause pour des abus sexuels, des paroissiens s’inquiètent de son moral plutôt que de la victime, déplore un religieux. Inversons le regard. » « Les catholiques sont un peu obsédés par… le pardon ». résume, lapidaire, Stéphane Joulain. Autrement dit, le pardon, c’est « un chemin ». pas un automatisme.
Un long chemin parfois. On écoute l’histoire de cette femme de 87 ans, qui a attendu de voir la mort venir, pour enfin parvenir à dire ses blessures. Pendant quatre-vingts ans, elle a porté seule le fardeau d’une agression vieille de sa première communion. Une ombre se lève, quitte la salle en larmes. « Des choses remontent…», glisse un participant.
Parler, parler, parler. Stéphane Joulain s’agace contre un autre réflexe observé dans les paroisses : la protection de l’institution : « Quelques fois. on transforme la victime en ennemi ! Mais le scandale arrive par ceux qui ont commis ces abus ! Pas par ceux qui les relaient. »
Derechef. une question monte dans la salle : quand même. « Les médias », ils exagèrent, non ? « Sans les journalistes, on en serait encore à balayer la poussière sous le tapis », réplique l’orateur.
A la pause nicotine, dans les couloirs. un prêtre du sud de Nantes. embraye : « Des fois, on s’inquiète plus de l’institution que des Évangiles. » Autour de lui, Grâce à Dieu, le film de François Ozon, consacré aux abus du père Preynat, fait beaucoup parler, en bien.
Libérer la parole, point de départ
Face aux abus, l’Église aurait eu le tort de gérer « des situations individuelles », un peu comme des fusibles, pour protéger l’édifice général. « C’était la théorie de la pomme pourrie, de cas isolés, poursuit Stéphane Joulain. Mais la crise actuelle révèle qu’il y a quelque chose de pourri dans le panier. Et même dans le haut du panier. »
Manière de dire que les solutions passent par une prise de conscience collective, la « supervision » de tous, quitte à rogner sur la « confiance » accordée traditionnellement à chacun. En somme. une responsabilité partagée, évêques inclus.
Mais gare à ne pas se payer de mots. Libérer la parole, c’est le point de départ, pas d’arrivée. « Si vous pensez que c’est terminé l’an prochain, vous vous mettez le doigt dans l’œil ! prévient Stéphane Joulain. II faut changer, en profondeur. Nous devons passer par une phase de purification de l’Église, apprendre à travailler avec les victimes. »
« Ça ébranle leur foi »
Sur le terrain, on assure que la crise ne détourne pas les fidèles de l’Église. « Mais beaucoup, y compris parmi les plus solides, disent que ça ébranle leur foi », reconnaît le vicaire général, François Renaud.
Dans l’assistance, on s’inquiète quand même de « la diminution des inscriptions dans les camps d’été ou à la catéchèse ». Et, surtout, de ce « soupçon généralisé » qui pèse sur les prêtres.
Après le constat, des ébauches de solutions
Comment « faire de l’Église un lieu sûr ? » Stéphane Joulain invite à améliorer la formation des prêtres. Le temps de la formation au séminaire est d’au moins six ans. « Quand un séminariste ne veut être qu’au contact d’enfants, sans capacité de développer des relations avec des adultes… Attention ! »
Dans les paroisses, il ne faut jamais laisser courir une rumeur : « Il faut investlguer et faire la vérité ! »
Un travail strict s’impose aussi sur les « lieux ». « Les salles fermées où personne ne voit rien de l’extérieur, c’est à bannir. Pareil pour la catéchèse : si un animateur colle des posters sur les fenêtres, qu’est-ce que ça veut dire ? »
Jusque dans le confessionnal, transparence et prudence prévalent : « A Notre-Dame de Paris. la confession se déroule dans un aquarium vitré. Aux yeux de tous. Et alors ? C’est un moment où la personne livre sa vulnérabilité affective. Certains pourraient abuser de cette fragilité. »
Thomas Heng,
Ouest-France du 22 mars 2019
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