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Nouveau formats numériques pour le Petit Echo

Il y a quelques semaines, je vous annonçais qu’il était désormais possible de télécharger une version électronique du Petit Echo à transférer dans votre liseuse AMAZON KINDLE. Le format utilisé s’appelle “MOBI“. Mais si vous utilisez une autre marque de liseuse électronique, vous aurez besoin d’un autre format de fichier qui s’appelle “ePUB“. Ces deux formats seront désormais disponibles dans la section “Téléchargement“, en plus du format PDF habituel.

Voici pour rappel la procédure pour transférer le fichier “MOBI” sur votre KINDLE. La procédure est sans doute similaire si vous possédez un autre type de liseuse.

Téléchargement sur votre Kindle.

Procédure:

  1. Téléchargez le fichier ici
  2. Raccordez votre Kindle à votre ordinateur au moyen d’un câble USB.
  3. Ouvrez votre explorateur de fichier et déplacez / copiez le fichier téléchargé dans le dossier “documents” de votre Kindle.
  4. Et voilà. Simple !

Vous pouvez aussi lire les deux types de fichiers (MOBI et ePUB, très confortablement, sur votre ordinateur à l’aide de l’excellent programme open source et gratuit “CALIBRE” que vous pouvez télécharger ICI.

Frans Verresen (1927 – 2018) (PE n° 1091 – 2018/05)

Frans est né  le 19 août 1927 à Anvers. Son père était menuisier et sa mère vendait du pain. Frans fit les humanités classiques au collège Saint-Jean-Berchmans à Anvers, mais la rhétorique  au collège Saint-Joseph à Alost, parce que les V1 et les V2 menaçaient constamment la ville d’Anvers. Frans était membre de la KSA (Action Catholique des Etudiants). Il chantait dans la chorale de la cathédrale. En septembre 1945 il entrait chez les Pères Blancs à Boechout. Il fit le noviciat à Varsenare. Il fit la première année de théologie à Marienthal, les années suivantes à Heverlee. Il y prononça son serment missionnaire le 29 juillet 1951 et fut ordonné prêtre le 12 avril 1952. Ses professeurs  voient en Frans un homme cordial et sans façon, travailleur consciencieux et équilibré. Il ne fait pas de bruit, est discret et réservé, un peu timide même. Il est toujours prêt à rendre service et délicat dans ses relations. C’est un bon organisateur ; « il sera un excellent chef, ferme mais compréhensif ». Sa conviction religieuse est solide. Ils notent tous qu’il réussit admirablement dans les mouvements de jeunesse. Après son ordination, Frans obtient à l’université de Louvain (côté francophone) une « licence en Sciences pédagogiques et en Orientation professionnelle » (1952-1956).

Le 10 octobre 1956 Frans s’envole pour le Congo. Il débute comme vicaire et directeur des écoles à Shabunda (diocèse de Kasongo). Une année plus tard nous le trouvons à Kasongo même, où il est nommé inspecteur des écoles, en juillet 1958. Il assurera aussi la direction du collège. En mars 1961 les troubles qui suivent l’indépendance l’obligent à rentrer en Belgique. Après la grande retraite à Villa Cavalletti, il est nommé, en décembre 1961, recteur du petit séminaire de Mungombe, où il enseigne le latin, l’histoire et la religion. En juillet 1963 Frans retourne à Shabunda comme professeur de religion à l’athénée. En juillet 1964 il quitte une fois de plus le pays qui ploie sous la révolte des Mulélistes. Pendant une année il donne des cours aux vocations tardives à Thy-le-Château. En juillet 1965 Frans fait un aggiornamento en catéchèse à Lumen Vitae, ce qui constituera un vrai tournant dans sa vie.

En juillet 1966 il rejoint le Centre interdiocésain de catéchèse à Bukavu. L’insurrection de Schramme l’oblige une fois de plus à quitter le pays. En Belgique il participe à l’animation missionnaire et prêche des retraites. De retour à Shabunda en juin 1968, il enseigne la pédagogie au collège Don Bosco. En 1971 il est nommé responsable diocésain de la catéchèse et à Kasongo il fonde en 1972 le Centre catéchétique d’Itemene. En 1980 Frans est vicaire à Kakutya. En 1983 il reprend son poste au Centre catéchétique, entre temps transféré à Kinkungwa. Pendant les troubles de 1991 Frans est évacué et va donner un coup de main aux confrères de la paroisse du Sacré-Coeur à Anvers. Quelques mois plus tard il retourne à Kinkungwa. En octobre 1993 il est chargé de la formation spirituelle des Soeurs franciscaines à Sola.  En mars 1997 Frans est une fois de plus évacué vers la Belgique. En août il devient aumônier à la Fomulac près de Bukavu. Sa dernière importante nomination l’emmène à l’archidiocèse de Lubumbashi, à Katuba Sainte-Bernadette.

Frans y devient rapidement la référence dans le domaine de la catéchèse. Il devient responsable de la formation de tous les catéchistes bénévoles des 40 paroisses que compte la ville. Pour eux il organise chaque année plusieurs sessions. L’archevêque avait pleine confiance dans la façon d’évangéliser des Pères Blancs et obligeait toutes les paroisses de suivre le système de 3 à 4 années de catéchuménat. Bien que Frans n’ait jamais été curé lui-même, il est excellent pédagogue et enseignant. A la paroisse Sainte-Bernadette il a pendant des années assuré avec enthousiasme les trois jours de retraite pour les centaines de catéchumènes durant la Semaine Sainte. Les homélies de Baba Frans furent aussi fort goûtées, tant pour le contenu que pour le beau langage. Il aimait le rite congolais, et chantait alors à gorge déployée et dansait. Les cours de Bible qu’il assurait au noviciat des Soeurs de St-Joseph furent appréciés, ainsi que ses enseignements chez les Soeurs de Ste-Ursule. Frans était toujours prêt à accomplir ce que le curé lui demandait: présider les célébrations çà et là, aller administrer les derniers sacrements, visiter les malades… Tout cela à pied, parfois à de grandes distances. Ce n’est qu’à partir de ses 80 ans qu’il commença à prendre les transports publics ou qu’il acceptait de se faire conduire (il n’a jamais conduit lui-même). Les gens étaient ravis de le rencontrer en rue et de bavarder avec lui. Il aidait aussi beaucoup de pauvres. En 2010 Frans écrivait encore dans « Kerk en Leven »: « De grands richards passent en trombe dans les rues dans leurs voitures rutilantes, mais dans les quartiers populaires il y a beaucoup de misère ».

Le 12 juin 2014 le Conseil de la PAC décida qu’il valait mieux que Frans rentrât définitivement en Belgique. Ce dernier opta pour un retour « chez lui », à Anvers. Il n’était plus du tout en forme  mais ne semblait pas s’en rendre compte. Quelques mois plus tard les responsables jugèrent qu’un transfert à Avondrust (Varsenare) s’imposait. Frans subissait tout avec résignation, tout en se demandant pourquoi il n’était plus en Afrique…  Il lisait encore de gros livres et écoutait les opéras connus, pendant qu’il chantait et battait la mesure. Il manquait cependant de plus en plus de souffle. Son état général baissait. Il décéda à l’hôpital Saint-Jean à Bruges le vendredi matin 9 mars 2018. La liturgie d’adieu eut lieu le 14 à Varsenare, en présence de nombreux confrères. Qu’il repose en paix !

Jef Vleugels, M.Afr.

Maurice Callant (1920 – 2018) (PE n° 1091 – 2018/05)

Maurice est né le 14 juillet 1920 à Oudenaarde dans la province de la Flandre orientale, diocèse de Gand, dans une famille bourgeoise. Sa maman était directrice du collège. Son frère aîné était prêtre diocésain. Après trois ans d’humanités modernes chez les Joséphites à Grammont, Maurice passe aux humanités classiques au collège Notre-Dame à Oudenaarde. En mai 1941, il envoie au supérieur de Boechout une carte minuscule portant une seule phrase:  « Je désire faire partie de la Société des Pères Blancs » et en septembre il entre… La guerre influence considérablement le déroulement de sa formation : noviciat à Sainte-Croix près de Bruges (parce que l’occupant allemand a réquisitionné Varsenare); théologie à Heverlee (1944-1946) et à Marienthal (1946-1948). Maurice prononce son serment missionnaire à Heverlee le 6 avril 1947 et y est ordonné prêtre le 29 mars 1948.

Durant ces années de formation, on le décrit comme un homme de coeur, très généreux et toujours prêt à rendre service. Sa piété est profonde. Il n’est, certes, pas un grand intellectuel, mais son bon coeur compensera largement. Il a un caractère égal, serein et il est toujours content. C’est un homme simple et très social. Il aime le travail manuel. On peut compter sur lui.

Nommé au Burundi il s’envole avec Sobelair le 15 septembre 1948. Son premier poste sera Makamba dans le diocèse de Gitega. Comme le veut la tradition, il commence comme vicaire et directeur des écoles primaires ; entre temps il apprend la langue. Le père Hellemans, régional, fait remarquer que Maurice, au  début, a des difficultés à saisir les nuances de la langue, mais que, grâce à sa ténacité, il réussira certainement. Son dévouement pour l’œuvre des écoles porte des fruits. Fin 1955 Maurice fait partie des fondateurs de Gisuru. Sa mémoire extraordinaire retient les noms des gens. Le père Van Hoof, régional, écrit en avril 1956 : « Il est d’un calme imperturbable et d’une patience à toute épreuve… Il fait du bien par son amabilité et parce qu’il connaît tout le monde ». Après son congé et la grande retraite à Mours, Maurice retourne en 1959 à Makamba. Mais pas pour longtemps, car en mars 1961 il devient curé-fondateur de Martyazo dans le diocèse de Bururi. « C’est un grand travailleur, homme de bon sens qui ne s’emballe pas et a les deux pieds bien sur terre. Démarche lourde et lente d’un paysan. Il ne se fâche pas, ne s’impatiente pas. Il semble avoir la mission bien en main, les gens l’estiment », note le père Braeckers, régional. En 1966 Maurice  suit un recyclage aux Missions étrangères de la Rue du Bac à Paris. De retour au Burundi il prépare à Makamba la fondation de Mabanda, où il s’installe en août 1967 comme curé-doyen. Son élection comme doyen le gêne, note le père Quintard, régional. Maurice, qui dépasse de peu la cinquantaine, aurait voulu introduire plusieurs réformes pastorales, mais faute de jeunes confrères cela s’avère difficile. Maurice s’est toujours montré respectueux envers les autorités politiques, ce qui ne plût pas toujours à tous les confrères. Maurice, ce faisant, avait toujours à l’esprit le bien de la paroisse. Il reste à Mabanda jusqu’à son congé en avril 1976. A son retour il devient responsable à Rutana, où il travaillera jusqu’en juillet 1984. Pendant son congé il suit la session/retraite à Jérusalem. En 1985 il est nommé à Masango dans le diocèse de Bubanza.

A la suite de nombre d’autres missionnaires et de confrères, Maurice est expulsé du pays le 19 octobre 1986, « remercié pour mes services au Burundi depuis 1948 », commente-t-il lui-même. Il ajouta ces mots sur un formulaire qu’il remplissait au provincialat de Bruxelles. A part cela, nous ne trouvons aux archives aucune lettre ‘officielle’ de sa part, aucune communication écrite, rien sur son vécu. Discrétion extrême ? Un confrère témoigne (Flash-Burundi ?) : « Maurice a achevé sa course apostolique au Burundi de la même manière qu’il l’a parcourue pendant presque 40 ans, dans la discrétion, la modestie et la profondeur. Curé expérimenté qui a su conduire ses paroisses de Mabanda et Rutana à travers toute sorte d’écueils avec un zèle éclairé. Homme du Sud, du Mosso (Gisuru), Maurice a de quoi rendre grâce pour tout le bien que le Seigneur a réalisé à travers son ministère apostolique. Nul doute que le don de sagesse qui l’habite l’aidera à trouver sa place là où il sera envoyé ».

Grâce à l’intervention du père Ward Schoofs, déjà ‘remercié’ en 1985 par le régime du président Bagaza, Maurice est aussitôt nommé aumônier du hôme ‘Heiderust’ à Genk par Mgr Dupas, vicaire-général du diocèse de Hasselt. Il y rendra service pendant plusieurs années, comme il l’a toujours fait au Burundi : aimable, gentil, modeste, attentif et serviable. Pendant près de quatorze ans…  En 1991 sa soeur Elisabeth meurt à Renaix et en 1994 son frère-prêtre meurt à Alost. En 1999 Maurice se rend encore à Rome pour assister à la béatification du prêtre Edward Poppe. Fin 2000 Maurice décide de se retirer et démissionne de l’aumônerie. Jef Vleugels, provincial, lui propose la communauté de la Katelijnevest à Bruges, ce que Maurice accepte avec joie. Début mars 2004 il demande de pouvoir rejoindre la communauté des aînés à Varsenare. Il y a connu des années tranquilles, fidèle à lui-même, écoutant les conversations en riant souvent dans sa barbe, ne manquant pas d’intervenir, rarement mais à propos. Il marchait avec obstination, d’abord à l’aide d’une canne, ensuite d’un déambulateur, car il voulait absolument éviter un transfert à Avondrust: Sacré Maurice ! Dans la nuit du 9 au 10 février 2018 il fait une chute. Dans l’après-midi il s’éteint doucement, discrètement comme il avait vécu… Nous l’avons enterré le jeudi 15 février, entouré de sa famille, de plusieurs amis, de plusieurs religieuses et de ses confrères.

Jef Vleugels, M.Afr.

Jean-Marie Provost (1922 – 2017) (PE n° 1091 – 2018/05)

Jean-Marie est né le 17 octobre 1922 à Bourbourg , dans le diocèse de Lille. Mais assez rapidement, sa famille (il sera l’aîné de 10 enfants), gagnera la région parisienne, si bien qu’il fera ses études secondaires dans le Petit Séminaire de Paris, à Conflans.

Jean-Marie commença le cursus de sa formation chez les Pères Blancs en octobre 1941, à Thibar. Mais celle-ci fut interrompue par trois années de vie militaire. Appelé aux Chantiers de Jeunesse en novembre 1942, il est ensuite mobilisé au moment du débarquement américain en 1943. Il est versé dans l’aviation et reçoit une formation en Angleterre. Aussi nous ne le trouverons au noviciat de Maison-Carrée qu’en septembre 1946. De là, il gagna à nouveau Thibar pour la théologie, et après son serment le 27 juin 1950, il fut ordonné prêtre à Carthage le 24 mars 1951.

Ce fut enfin l’Afrique de l’Ouest, au Ghana où il travailla pendant 36 ans.

Nommé dans le diocèse de Navrongo, il rejoint sa première mission à Kaléo dès le mois de décembre 1951. Il n’y resta que deux ans, ayant reçu une nouvelle nomination pour Nandom, en pays Dagara, où i1se mit courageusement à l’étude d’une nouvelle langue. En 1959 il se retrouve à Ko, en vue de l’ouverture d’une nouvelle mission à Tumu. La fondation se fera en 1960. Il mènera de front la construction du poste et le travail d’évangélisation. Et c’est là qu’il reçoit sa nomination pour l’animation missionnaire, en France, à partir de la rue Friant. Il lui faudra attendre 1967 pour retrouver le Ghana après la grande retraite à la villa Cavalletti. Il se rendra successivement à Ko, Hamilé, Namdom, Fielmon, Lassia-Tuolu. Cette succession de nominations a été rendue possible parce que les responsables connaissaient l’ardeur apostolique de Jean-Marie, son aisance à rencontrer de nouveaux visages, une certaine facilité à apprendre les langues, mais surtout en raison de sa grande disponibilité.

Malheureusement de sérieux problèmes de dos le condamnent à une certaine immobilité. Il devra même garder le lit pendant six semaines. Et durant un congé, en 1988, consultant les médecins, il lui est conseillé de rester en France. Cela lui fut difficile à accepter. Après avoir aidé à l’accueil tant à Angers qu’à Lyon, après la retraite session de Jérusalem, il va se rendre à Fréjus pour le travail paroissial. Tout de suite il sera à l’aise et va conquérir l’estime de tous les paroissiens. Pendant quatre ans, il prendra sa part dans les différents services, tout en étant fidèle aux recommandations du corps médical lui prescrivant la marche, le vélo et la natation. Il était connu de tous, parents et enfants ; on aimait le voir parcourir les rues de la ville avec son air un tantinet « titi » parisien, ce qui lui ouvrait bien des portes. Comme on aimait ses homélies dominicales : sans fioritures, il essayait de faire le lien entre l’évangile et le quotidien des paroissiens. Aussi fut-il très regretté quand, après quatre ans de présence dans le Var, il fut nommé responsable de la maison de Nantes.

Là, pendant 6 ans il sût accueillir avec sa grande jovialité les nombreux confrères de passage. Mais le ministère paroissial lui manquait. Aussi fut-il heureux d’aller pour deux ans à Maisons-Alfort. Finalement sa santé lui demanda de rejoindre une maison de retraite. Ce fut d’abord Bry-sur-Marne en mai 2001, puis Billère en mai 2015. Dans ces deux maisons, il put se soigner, se promener un peu. Mais surtout il conquit l’estime de tous, résidents comme personnel soignant, par sa joie communicative, sa simplicité. Il aimait aussi chaque année participer à la réunion familiale regroupant ses nombreux frères et sœurs, neveux et nièces, qui tenaient une grande place dans sa vie. Il les aimait tous comme ceux-ci savaient l’entourer de leur affection. Et de fait ils étaient nombreux lors de ses obsèques à venir, parfois de loin, dire d’une manière ou d’une autre combien ils appréciaient leur « tonton ».

C’est le 31 octobre qu’il a rejoint la maison du Père. Il avait 95 ans. Nul doute que le Seigneur Jésus qu’il a tant aimé et servi, aussi bien au Ghana qu’en France, ne lui ait donné rapidement la place qui revient aux bons et fidèles serviteurs. Merci, Jean-Marie, pour ta gentillesse, toujours teintée d’humour, pour la gaieté que tu savais répandre autour de toi.

Michel Groiselle, M.Afr.

Lectures (PE n° 1091 – 2018/05)

Mgr Benoist de Sinety, « Il faut que des voix s’élèvent » Accueil des migrants, Un appel au courage, Flammarion, 2018, 132 pages, 12 €

L’auteur est le Vicaire général du diocèse de Paris. Dans son livre, il nous invite à un regard réaliste, sans compromission, sur notre société d’aujourd’hui multiculturelle comme elle a toujours été et sera encore. Il veut secouer notre passivité ou léthargie devant ces nouveaux migrants qui affluent vers nos côtes.

Il nous invite à ne pas nous enfermer dans une nostalgie d’un passé qui n’a jamais existé car notre continent est toujours le terrain d’un brassage sans fin (p.35) Nous ne devons pas fantasmer une unité nationale illusoire (p.79). Nous sommes face à un problème national et nous nous tournons alors vers nos responsables ou intellectuels pour qu’ils nous éclairent sur les enjeux. Nous avons donc ce qu’il appelle des « prévisiologues » ; et ceux-ci nous offrent souvent des discours qui nous rétrécissent et atrophient nos cœurs au lieu de nous encourager à grandir. Ils n’ont ni vision ni valeurs à mettre en évidence (p.50). Ce ne sont que des discours électoralistes basés sur des sondages (p.82).

Nous devons donc émerger de notre société de l’ultraconsommation scandaleusement indécente (p.67). N’établissons pas une hiérarchie entre nos pauvres auxquels nous sommes habitués et les migrants qui frappent à nos portes (p.65). Pensons à toutes ces « cellules psychologiques » que nous nous empressons de dépêcher vers ceux et celles éprouvés par tout événement inhabituel ; et à l’opposé que faisons-nous pour ces migrants qui ont enduré une traversée très éprouvante ? (p.109) Nous ne faisons que « sous-traiter » cette tâche à quelques associations humanitaires.

Alors, que faire ? L’auteur nous invite à « Ouvrir nos bras et ouvrir nos cœurs ». Il nous présente les orientations de l’Église catholique et plus spécialement, en 4 pages, les 21 suggestions du pape François. Il n’explicite pas tellement chacune de ces suggestions mais son texte pourrait servir de base à un partage en groupe ou en association.

Tout au long du livre, quelques convictions fondamentales sont énoncées. Voici quelques unes que nous pouvons retenir :

« La solidarité doit primer sur la loi » (p.93) ;

« Chez l’individu, c’est l’éthique de la conviction qui doit prévaloir » (p.126) ;

« L’opinion publique ne peut s’estimer supérieure aux opinions personnelles » (p.118).

Un texte établi à partir de la réalité française mais qui a une portée beaucoup plus large et qui ne laissera personne indifférent quelle que soit la communauté où il vit.

Gilles Mathorel, M.Afr.

Le Frère Léon Lwanga, compagnon des premiers missionnaires en Ouganda (PE n° 1091 – 2018/05)

Souvenons-nous avec reconnaissance du Frère Léon Lwanga qui, dès le début de son contact avec les premiers missionnaires en Ouganda, fut un ‘auxiliaire’ et une figure marquante au tout début de l’évangélisation de son pays natal dans des conditions souvent difficiles et particulièrement défavorables. Il a en effet aidé les missionnaires à y poser les bases des premières communautés chrétiennes. Il est absolument impensable que nos premiers confrères missionnaires d’Afrique en Ouganda, au moment de paraître devant le roi Mutesa le 27 juin 1878, aient pu s’imaginer que l’un des membres de la garde royale s’attacherait très bientôt à eux. Et pourtant tous nos confrères missionnaires qui ont passé à Alger, dans les années 1890, se souviennent du Frère Léon Lwanga, Ougandais, fils d’un chef de la presqu’île Baganga, membre de la garde royale qui a fourni les premiers catéchumènes. Les pages et les membres de cette garde royale étaient de jeunes nobles placés au service du roi pour apprendre le métier des armes et rendre service au palais.

A la question d’un missionnaire, s’il avait vu Stanley (1875), le Frère Léon Lwanga a répondu : « Oui, je prenais déjà part à une expédition contre les Bavuma, mais je ne maniais pas encore la lance ». Léon Lwanga devait avoir une quinzaine d’années lorsque Stanley passa en Ouganda. Il doit donc être né vers 1860. Encore enfant, il quitte la case paternelle et s’attache au service du roi Mutesa. Une étude sur la vie de Léon Lwanga donne le sentiment que pour lui le contact avec les premiers baptisés et les missionnaires (1880), crée en lui un espace auquel il s’attache et qu’il n’a jamais remis en cause. Léon Lwanga non encore baptisé, se joint aux missionnaires vers 1882.

En octobre 1884, le roi Mutesa meurt et le nouveau Kabaka, Mwanga, son fils, lui succède et est intronisé roi à 18 ans. Léon sera témoin que ce jeune roi deviendra un persécuteur. Il est baptisé en 1885, probable- ment par le P. Lourdel, au cours d’une période d’incertitude juste avant les persécutions de 1885–1887, époque pendant laquelle l’Ouganda devient terre des martyrs. Il reçoit le prénom de Mgr Livinhac, Léon, dont il devient le fidèle compagnon. « Léon Lwanga des premiers néophytes de l’Ouganda, fut l’un des plus fidèles serviteurs des missionnaires dans la période qui suivit la persécution de 1886 » est-il noté dans les Chroniques de la Société.

Le 6 juin 1886, trois jours après l’holocauste de Namugongo, Léon Lwanga est confirmé par Mgr Livinhac lui-même. Connaissant son cou- rage et son dévouement à toute épreuve, les missionnaires lui confient la périlleuse mission d’aller recueillir les ossements de Charles Lwanga qui venait d’être brûlé à Namugongo le 3 juin 1886. Les précieux restes sont trouvés et rassemblés de nuit par Léon Lwanga et Baazilio Kamya, puis apportés aux missionnaires installés à Nalukolongo près du palais royal. Le même jour, une dizaine de catéchumènes viennent se faire baptiser. Le père Lourdel les encourage dans leur foi face aux supplices. A cause de la situation très tendue dans le pays où Mwanga ne cesse de tracasser les chrétiens, ces derniers se sentent obligés de prendre la fuite pour pratiquer plus facilement leur foi. Léon, lui aussi, se décide de prendre la même route ; c’est ainsi que nous le retrouvons avec le père Ludovic Girault, supérieur de la mission de Bukumbi et responsable du pro-vicariat de l’Unyanyembe (1888), en voyage pour fonder la mission de l’Usambiro. A la demande de ce père Girault, Léon accepte avec empressement de se joindre aux jeunes chrétiens et de les emmener pour servir de noyau à la nouvelle fondation.

Frère Léon Lwanga, portant une lance dans un jeu de rôle.

Une révolution éclate dans le pays en septembre 1888 ; elle finit en conflit armé. Les guerres de religion opposent les musulmans aux chrétiens et les différentes Églises chrétiennes entre elles. Les chrétiens chassés de leur pays se réfugient alors dans les montagnes de l’Ankole. Le 10 octobre 1888, les missionnaires, après avoir été dépouillés du peu qu’on leur avait laissé, sont emprisonnés par des chefs musulmans. Leurs missions sont incendiées. Finalement, ils sont expulsés du pays et atteignent la mission de Bukumbi.

Ils désirent se mettre en relation avec leurs chrétiens et néophytes réfugiés. Mgr Livinhac appelle Léon Lwanga et lui demande de se charger de l’importante et dangereuse mission de tenter d’approcher les néophytes et les chrétiens réfugiés pour les encourager et les soulager. Léon, l’homme dévoué et audacieux, accepte sans la moindre hésitation et se met en route, accompagné de deux hommes sûrs.

Dans cette mission risquée, ils se heurtent à des obstacles sérieux de la part des partisans de l’usurpateur Karema, fils de Mwanga. Ils doivent revenir sur leur pas précipitamment pour échapper au pire. Le danger étant trop proche, ils se dispersent et Léon ne revit plus ses compagnons qui probablement ont été saisis et mis à mort. Après avoir supporté des privations et des fatigues inouïes, c’est grâce à l’aide d’une tribu hospi- talière qu’il rentre à Bukumbi et se présente devant Mgr Livinhac après une absence de plusieurs semaines. Depuis ce jour, Léon Lwanga ne s’est plus séparé de lui.  

Quand peu de temps après, Mgr Livinhac prend la route, accompagné du père Chantemerle et du Frère Amans, l’insécurité de la guerre les oblige à s’arrêter à l’île Sese. Ils profitent de ce contretemps pour fonder la mission de N.-D. du Bon Secours. C’est en ce temps précaire, en sep- tembre 1889, que Mgr Livinhac reçoit la nouvelle de sa nomination à la charge de Supérieur général de la Société des Missionnaires d’Afrique, avec l’ordre de partir sans retard pour Alger. Le 25 mai 1890, jour de la Pentecôte, Mgr Livinhac ordonne évêque, dans l’humble chapelle de Kamoga, le père Jean-Joseph Hirth, désigné pour le remplacer dans sa charge de responsable du Vicariat apostolique du Nyanza Méridional.  Le 6 juin 1890, Mgr Livinhac quitte définitivement Kamoga et prend le chemin de la côte, accompagné du père Hauttecoeur et d’un petit groupe de jeunes Baganda : voyage de six mois en caravane à partir du lac Victoria jusqu’à l’océan Indien, 1.200 kilomètres à pied à travers l’intérieur du continent, forêts vierges et savanes interminables jusqu’à la côte. A cause de l’insécurité des routes intérieures, il se fait accompagner par une escorte armée dont le chef est Léon Lwanga. Il compte sur le courage et la vigilance de ces hommes et surtout de leur chef quand la caravane doit traverser le territoire de la grande tribu des Banera, contre laquelle l’explorateur Stanley avait eu à lutter. De fait, la petite caravane est poursuivie pendant quelque temps par une bande mal intentionnée.  

Léon se porte courageusement à la rencontre de ces dangereux malfaiteurs capables de faire pleuvoir toute une ondée de flèches sur les pacifiques voyageurs. Dans d’autres circonstances il se met à palabrer avec les chefs locaux pour obtenir le passage, assurer la continuité de la caravane pour enfin arriver à la côte, à Bagamoyo, puis à l’île de Zanzibar célèbre pour ses cocotiers et ses girofliers, ses bananeraies et les plantations de canne à sucre. A Zanzibar, Mgr Livinhac écrit au cardinal La- vigerie au sujet de ces quatorze jeunes Baganda dont fait partie Léon Lwanga : « Ils sont tous bien disposés et assez jeunes pour pouvoir être instruits et devenir des aides des missionnaires. Ils me demandent de les amener en Europe où ils espèrent recevoir une instruction qu’ils ne trouvent pas dans leur pays si troublé… » Le cardinal Lavigerie répondra favorablement. Il voulait présenter les jeunes Baganda au Congrès antiesclavagiste qui allait se réunir à Paris. Suite à cette heureuse nouvelle, la caravane reste unie et les voyageurs se préparent à embarquer pour la deuxième partie de ce grand voyage, la traversée en mer jusqu’à Marseille.

Le 19 septembre 1890, ils débarquent à Marseille avec les quatorze jeunes voyageurs baganda, juste à temps pour participer au Congrès antiesclavagiste et son lancement le lendemain à Paris. Ce fut « comme un coup de théâtre de la Providence ».  Le dimanche 21 septembre, date fixée pour l’ouverture du congrès à l’église de Saint-Sulpice à Paris, une première rencontre a lieu entre les jeunes Baganda et le cardinal Lavigerie. Le soir de ce même jour, le cardinal Lavigerie officie pontificalement avec Mgr Livinhac aux vêpres en cette même église, en présence d’une foule curieuse de voir le premier apôtre et évêque de l’Afrique équatoriale avec les jeunes chrétiens ougandais.

Après le congrès, le groupe de voyageurs toujours en « caravane » semble avoir pris des « ailes ». Passant par Lyon et Marseille, tous vont à Rome où le pape Léon XIII les reçoit en audience le 10 octobre 1890, avec une tendresse particulière de bon pasteur. Le cardinal Lavigerie les présente au Saint-Père qui lui demande à quelle profession ces jeunes africains étaient destinés. Après les renseignements donnés par le cardinal, le pape manifeste le désir d’orienter vers les études ecclésiastiques certains d’entre eux qui en ont la vocation. Cette visite touche particulièrement Léon Lwanga et l’affermit dans sa résolution de se consacrer au service de Dieu comme missionnaire dans la famille de son ami et père, Mgr Livinhac dont il veut rester le compagnon et serviteur fidèle. Mgr Livinhac visite encore le Vatican, amenant toujours avec lui les qua- torze Baganda.

Dans la « capitale de tous les chrétiens », Léon écrit une longue lettre adressée à ses amis en Ouganda et tout particulièrement à Gabriel Kintu, le grand général, et à Cyprien Mutagwanwa, le grand intendant des cuisines royales et à son frère Caroli Buuza. Parmi eux se trouvait aussi Paoli Nalubandwa, le tout premier des baptisés ougandais : « Bien chers amis, (-) Nous allons quitter Rome. Six iront à Malte ; Pauli, Caroli et les autres, Léon, Yohana, iront à Alger pour étudier. Priez pour nous, nos chers amis, nous prierons pour vous. C’est moi, Léon, qui a écrit toutes ces paroles. Priez beaucoup pour moi. Je désire être Frère. Demandez à Dieu de m’aider. Vous savez que je suis porté à la colère ; demandez pour moi la douceur de Jésus-Christ. Je pense souvent à vous, en enten- dant la messe et en récitant le chapelet… » (Archives Rome). Qui étaient ces ‘amis’ auxquels Léon Lwanga adresse sa lettre ? Il s’agit ici de certains parmi les quatre privilégiés qui reçurent les premiers le baptême le samedi saint 27 Mars 1880, après seulement 4-5 mois d’instruction. Parmi eux, nous trouvons Paoli Nalubandwa, son frère Petro Ddamulira et Yosefu Lwanga. Parmi ces premiers convertis se trouvent quelques fonctionnaires et quelques pages de la résidence royale. Le 14 mai 1880, quatre autres adultes, Fouké Jean Marie, Mathieu, Boniface et Jacques, reçoivent eux aussi le baptême. Ces baptêmes ont eu lieu avant la levée du soleil comme au temps des catacombes. Très vraisemblablement, les amis du Frère Léon Lwanga se trouvent parmi les tout premiers baptisés d’Ouganda dont quelques futurs martyrs qui, par leur responsabilité de chrétien et leur enseignement ont joué un rôle important dans les premières petites communautés de néophytes et catéchumènes. Malgré le zèle de ces récents baptisés et l’assiduité des catéchumènes, des menaces pesaient sur l’avenir de l’Eglise ougandaise.   A ce moment des persécutions, les missionnaires se résignent à quitter le pays, croyant bon d’attendre un temps meilleur. Le 8 novembre 1882, ils s’exilent volontairement au Bukumbi, sur la rive sud du lac Victoria, près de Mwanza dans l’actuelle Tanzanie. Durant la période d’absence des missionnaires (1882-1884), les jeunes baptisés continuent à instruire à leur tour, se soutenant mutuellement et priant ensemble. Ils ont appris l’importance du baptême pour obtenir le salut éternel ; aussi n’hésitent- ils pas à administrer le baptême aux mourants. Le 12 juillet 1885, les missionnaires sont de retour dans le pays, accueillis par la population qui n’a rien oublié de leurs bienfaits.

Après leur visite à Rome, le groupe des quatorze Baganda se divise en deux. Six partent pour Malte pour des études de catéchistes-médecins, les autres sont envoyés au petit séminaire de Saint-Eugène, près d’Alger, et deviennent ainsi les premiers séminaristes ougandais. Quant à Léon Lwanga, il prend la route vers Alger avec Mgr Livinhac et le père Hauttecoeur et y rejoint le postulat des Frères où, peu après, il est admis à suivre les exercices comme postulant.

En novembre 1890, Léon est admis au noviciat sous la direction de celui qu’il connaissait depuis le début de sa rencontre avec les missionnaires, le père Girault, responsable en Ouganda à cette époque de tout le groupe missionnaire sur place durant le temps que le père Livinhac était en Europe pour son ordination épiscopale. Une anecdote nous raconte, avec un brin d’émotion qu’à l’époque, en caravane avec le père Girault sur une route dangereuse au sud de Nyanza, Léon avait bondi sur le chef d’une troupe de guerriers, l’avait désarmé et amené au père Girault. Celui-ci, préférant garder la situation calme, le fit relâcher et lui donna même un petit cadeau. La caravane put ainsi continuer sa route, mais pas sans danger : un petit groupe de ceux qui l’avaient arrêté dé- chargèrent leurs fusils sur le missionnaire, sans l’atteindre heureusement.

Le 29 mars 1891, Léon Lwanga est jugé digne de revêtir l’habit missionnaire. Le même jour, à Rubaga, Mgr Hirth, successeur de Mgr Livinhac, préside les baptêmes solennels : cinquante catéchumènes sont baptisés  et confirmés, dont la vieille maman du Frère Léon : « Le jour où Frère Léon recevait l’habit blanc et s’est revêtu de gandoura, burnous et chéchia de la Société dans la chapelle de la Maison généralice à Alger, le même jour, sa vieille maman fut baptisée et confirmée par Mgr Hirth, successeur  de Mgr Livinhac, à la ‘Cathédrale’ de la mission de Rubaga en Ouganda » (Chroniques).

Le noviciat ne fut pas facile pour cet homme de 30 ans, habitué depuis sa jeunesse à porter les armes au nom de sa patrie et de son honneur propre, appelé à prendre part à des opérations militaires et à de longues expéditions laissant derrière elles des ravages dans les royaumes voisins et à revenir avec des troupeaux importants. Mais la défense de la monarchie a été pour lui le seul motif de sa prise d’armes.

Frère Léon Lwanga avec deux confrères

La vie du jeune Léon Lwanga était celle d’un garde royal, d’un soldat du roi, célèbre par son énergie, sa persévérance et sa fermeté, n’ayant pas froid aux yeux et ne reculant devant aucun danger… Tout cela, ne l’a cependant pas empêché de devenir un modèle de régularité, de sobriété et de grande piété et même de loyauté, comme noté dans sa nécrologie : « Avec un courage exceptionnel, il se mit à l’œuvre pour se former pour devenir lui aussi missionnaire d’Afrique et Frère. Pour lui il ne s’agit pas d’abord d’un appel à faire quelque chose, mais davantage à être, être missionnaire dans un amour qui veut imiter Jésus qu’il avait accueilli en lui depuis si peu de temps ».

Voici d’autres citations le concernant que nous trouvons dans le diaire de Maison-Carrée : « Le noviciat des Frères compte un postulant noir : Léon, le chef de la Caravane qui a ramené Mgr Livinhac à Zanzibar. Espérons que ce ne sera pas le dernier et que les intrépides Baganda ne reculent pas plus devant une règle religieuse qu’ils ne l’aient fait devant la persécution et le martyre » (6 novembre 1890) ; « Pâques. ‘Haec dies quam fecit Dominus’. Alléluia partout, mais surtout chez les Frères. Cinq d’entre eux, les Frères Jean, Salvador, Octave, Arcade et Hilaire ont fait leur serment. Deux ont pris l’habit. Une nouvelle recrue arrivera dans quelques jours de St. Laurent d’Olt et puis le Frère Léon, notre premier Frère noir. A la grand-messe, revêtu de l’habit blanc qui contraste avec la couleur de son visage, il portait la houlette du premier Vicaire Apostolique  de l’Ouganda. Cet honneur lui revenait bien » (29 mars 1891). Après son noviciat, il reste à Maison-Carrée et travaille surtout à la reliure des livres. Il est aussi moniteur auprès des missionnaires nommés pour l’Ouganda. Il leur apprend les premiers rudiments du luganda. Le 25 mars 1894, il est admis à se lier à la Société des Missionnaires d’Afrique par un serment d’abord temporaire. Au bout de neuf ans, le 31 octobre 1903, le Frère Léon prête serment sur les évangiles de « se consacrer désormais et jusqu’à la mort, à l’œuvre des missions d’Afrique ». Par sa fervente piété et son attachement au célibat, il fait naître une attitude positive à l’égard des Africains dans la mentalité des futurs missionnaires.

« Sorti du paganisme depuis peu d’années et habitué avant sa conversion à vivre au gré de ses caprices, Léon se met courageusement à l’œu- vre et devient un modèle de dévouement et d’attachement à la sainte religion, un modèle d’une vie consacrée à Dieu. A sa foi la plus vive, il joint un amour ardent pour Dieu, le Seigneur et sa Mère. Il accomplissait avec grand soin ses exercices de piété. »

La vie du Frère Léon Lwanga fut, parmi ses confrères, un signe de l’évangile proclamé d’abord par le témoignage de remerciements vis-à- vis de Dieu et de la communauté dans laquelle il vivait, un témoignage de la grande valeur de fidélité déjà manifestée du temps où, en Ouganda, il était le compagnon de Mgr Livinhac.

Léon était vif d’esprit et intelligent ; il étudia le français sans trop de peine et arrivait à parler correctement. Très attaché à la Société, il se serait exposé pour elle à n’importe quel danger pour défendre un confrère. Chaque année, à la veille de la fête de St Charles, dans sa chambre, devant le portrait du cardinal Lavigerie, un bouquet de fleurs témoignait de sa profonde vénération et d’un affectueux respect envers celui qui avait envoyé en Ouganda les premiers missionnaires. Le Frère Léon Lwanga, missionnaire d’Afrique, Ougandais, a travaillé 12 ans à la Maison-Mère à Alger.

Fin 1904, on découvre qu’il est atteint de tuberculose osseuse. La maladie dure toute une année ; elle lui cause d’atroces souffrances. Il les unissait dans sa prière à celles de notre Seigneur. Malgré une opération, il meurt le 1er mars 1906, à l’âge de 46 ans, au sanatorium St. Joseph à Maison-Carrée, après avoir porté courageusement sa maladie.

Jusqu’au plus profond de son cœur, il portait en lui la foi, l’espérance et la charité par une audace de croire que nous sommes destinés au bonheur garanti par Dieu, une vérité présente en lui soutenue par les souve- nirs du temps des grandes épreuves auxquelles il a été mêlé quand ses amis martyrs sacrifièrent leur vie pour le Christ.

Kees Maas, M.Afr.

«L’intelligence en éveil» (1 P 1, 13) (PE n° 1091 – 2018/05)

Quand j’étais enfant, on nous faisait réciter les trois actes de foi, d’espérance et de charité. La seule mention de « réciter » m’horripile ! En ces temps-là, cette sorte d’éducation à la prière était si commune qu’il n’est pas étonnant que tant de gens en aient perdu la foi. Foi et rabâchage ne vont pas ensemble. Sans compter que l’acte de foi fait plus appel à l’obéissance aveugle qu’au discernement nécessaire. En effet, cet acte pose que : « Mon Dieu, je crois fermement tout ce que l’Eglise catholique croit et enseigne… ». Qui, aujourd’hui, se satisferait d’un tel acte de foi ?  

Quand je suis arrivé en Afrique, j’ai vite compris qu’il me fallait apprendre ces mêmes prières en langue locale pour ne pas paraître ignorant et ridicule au milieu de nos gens… Quand, un jour, j’ai fait une remarque en communauté, faisant part de mon malaise vis-à-vis de ces mêmes prières qu’on demandait à nos gens de dire matin et soir, on me rétorqua qu’il fallait laisser aux gens le plaisir de dire « leurs » prières. Mais justement, elles n’étaient pas « leurs » prières mais des prières qu’on leur avait imposées, importées et formulées au mépris de toute inculturation et contextualisation.

A l’opposé de ces actes récités, de foi, d’espérance et de charité, saint Pierre, dans sa première lettre, appelle les croyants à être « toujours prêts à la défense contre quiconque vous demande raison de l’espérance qui est en vous. Mais que ce soit avec douceur et respect…» (1 P 3, 15-16). Passer d’une foi qui récite à une foi personnelle qui fait appel à l’intelligence et au cœur est une des grandes urgences de l’Eglise. Sans doute ce travail est déjà en bonne voie auprès des catéchumènes, des jeunes catéchisés et des néophytes… L’Afrique n’est pas à l’abri d’une perte de la foi si on continue à ignorer son aspiration profonde à une foi qui prend à la fois la tête et les tripes, et qui se manifeste en paroles et en actes.  

Jean-Pierre Sauge, M.Afr.

Respecter et s’occuper des présents ; aller vers ceux qui ne sont pas là (PE n° 1091 – 2018/05)

De plus en plus, j’entends un discours d’autoflagellation en ce qui concerne la transhumance des chrétiens catholiques vers les Églises indépendantes et « l’échec » de notre pastorale surtout quand on la compare au « succès » des Églises de réveil, des Églises pentecôtistes et autres évangéliques… Si seulement c’était une saine autocritique… Oui, j’aimerais que ce soit une véritable autocritique qui tienne compte des paramètres objectifs correspondant à chaque lieu, à chaque situation, pas à des apparences qui cachent souvent des terribles drames et surtout beaucoup de misères humaines.

Je commencerais par un portrait-robot des paroisses dans la plupart de nos missions en Afrique subsaharienne. Bien souvent ces paroisses couvrent un territoire subdivisé en communautés chrétiennes de base. L’estimation de la population dépend d’une région à l’autre. Chaque communauté chrétienne de base a son organisation autour d’un leadership qui est en lien direct ou indirect avec le conseil paroissial. La communauté de base assure certains ministères selon la capacité de ses membres ; ainsi elle peut s’occuper de l’instruction chrétienne des enfants, du service de la charité auprès des malades et des pauvres, de la consolation de ceux qui sont éprouvés, de la prière et du partage de l’évangile hebdomadaire et aux temps forts de la vie de l’Église. L’idée est d’y vivre une vraie fraternité à l’image des premières communautés chrétiennes évoquées dans les Actes des apôtres.

C’est l’ensemble de ces communautés, menant une vie chrétienne localisée dans leurs quartiers respectifs, qui se retrouve dans les célébrations dominicales de la paroisse pour célébrer le Christ. Ainsi, certaines paroisses urbaines ont jusqu’à cinq célébrations eucharistiques dominicales. Ce qui n’est pas peu… et que l’on verra rarement dans les Églises de réveil dont nous vantons parfois la « vivacité ».

Salvador Muñoz-Ledo lors d’une veillée pascale à Bunia

Qu’est-ce que l’Église catholique a de particulier et qu’elle peut faire valoir dans le domaine de la pastorale ? Quelles sont les forces sur lesquelles elle peut s’appuyer pour mieux faire, pour vivre en phase avec son époque et avancer ? Ces questions invitent à poser un regard objectif sur tout le dispositif que l’Église a élaboré au cours des années pour encadrer les fidèles chrétiens à tous les niveaux. Je ne souhaiterais pas répondre à ces questions dans ce présent article ; je préfèrerais les laisser aux soins de chaque communauté ou groupe qui cherche à approfondir son agir pastoral.  

Néanmoins je signale, en passant, que rares sont les organisations religieuses ou pastorales qui ont une littérature aussi fournie que celle de l’Église catholique dans des domaines variés (liturgie, spiritualité, pastorale, éducation, catéchèse, doctrine, etc.)

Lointaine est l’époque où l’Église jouissait d’un certain « absolutisme » de la pensée, un « monopole de la vérité »… Aujourd’hui, ce qui est très bien d’ailleurs, elle est bien obligée de faire face à ses erreurs du passé et du présent, à se laisser interpeller par une société qui conçoit la réalité autrement (parfois sans Dieu), à vivre la confrontation directe avec ceux qui ont choisi de vivre d’autres valeurs que celles qu’elle prône. L’Église d’aujourd’hui est appelée à l’humilité dont elle s’est toujours faite le héraut.    

Cette contradiction « frontale », couplée à la culpabilité qui résulte de la prise de conscience des erreurs entretenues et l’horreur des fautes commises dans son parcours, amène parfois l’Eglise à se recroqueviller et adopter des attitudes extrêmes : l’autojustification intempestive et l’autoflagellation. La solution ne se trouve certainement pas dans ces deux précipices.  

Je proposerais plutôt une démarche dans laquelle l’on « juge l’arbre à ses fruits » … sachant qu’il peut arriver que certains fruits pourrissent dans l’arbre, ce qui n’enlève pas à l’arbre sa capacité à produire de bons fruits. Quelle a été l’intention du « fondateur de l’Église » ? Quel a été son rêve pour l’humanité ? Comment l’Église catholique a-t-elle essayé de vivre cette volonté de son « fondateur » ? En faisant quoi dans le monde ? L’Église, à sa fondation, avait-elle l’assurance absolue de ne jamais commettre des erreurs et des fautes ? Avait-elle été prévenue, dans les Écritures, de cette possibilité de se tromper ?

Tout en gardant le sens des responsabilités, les hommes et femmes d’Église ne doivent pas perdre de vue la liberté et surtout la responsabilité de chaque fidèle dans ses choix existentiels. Vous pouvez instruire une personne pour l’amener à l’obtention des sacrements ; mais vous n’avez aucun pouvoir sur le choix de cette personne de vivre ou pas sa foi selon les instructions de l’Église qui l’a pourtant accompagnée dans son cheminement. Il peut s’avérer qu’une personne fasse un choix contraire à ce que vous avez prévu et souhaité. Est-ce que tout est perdu pour autant ? Ce serait oublier que les « voies du Seigneur sont insondables ».

Et si nous faisions le choix de respecter ceux qui sont là, sans nous épargner l’effort et la foi de nous « déployer » pour aller chercher les personnes laissées en arrière ? Je me rappelle certaines réunions programmées et approuvées : à l’heure de la réunion il n’y a que 5 personnes sur 30 qui sont présentes. Certaines personnes diraient : « il n’y a personne, alors reportons la réunion »… mais un leader responsable va considérer la bonne volonté et l’effort de ceux qui se sont présentés, parfois malgré de nombreuses occupations.  

Du début à la fin de sa vie publique, le Seigneur a sillonné la Palestine pour annoncer le Règne de Dieu, la Bonne Nouvelle. C’est de lui que l’Église a appris le zèle missionnaire. Le pape François n’a de cesse de rappeler à l’Église qu’elle a vocation d’être une communauté « en sortie », à l’instar de Jésus, pour rencontrer les gens de son temps dans leurs situations réelles et leur annoncer la Bonne Nouvelle à travers des attitudes et des actions qui relèvent les personnes. Le Seigneur prenait aussi le temps de s’occuper de ceux qu’il avait appelés pour être avec lui, ceux qui marchaient avec lui.

Gauthier Sopko avec un groupe de jeunes à Bunia

Le défi pastoral, à l’heure où les Églises se vident dans certaines contrées, serait d’animer la communauté chrétienne dont nous nous occupons afin de l’aider à prendre conscience de sa dimension missionnaire, de façon que ce ne soit pas uniquement le curé, l’aumônier, le diacre, le « serviteur de Dieu », qui courre après « ceux qui ne viennent pas », mais que ce soit toute la communauté chrétienne qui se mette « en sortie », à la rencontre de leurs frères et sœurs qui ont lâché prise d’une façon ou d’une autre, ou qui ont été offusqués par certaines attitudes rencontrées dans la communauté de foi qu’est l’Eglise, pour leur témoigner l’amour de Dieu et leur rappeler que le Christ les veut toujours avec lui. Ce serait alors toute l’Eglise qui sera « en sortie » ; mais pour en arriver là, il faut savoir bien s’occuper de « ceux qui viennent », ceux qui sont disponibles pour le Seigneur.  

Les Églises locales devraient prendre leur courage à deux mains et aborder de façon pertinente et innovante les besoins réels des fidèles chrétiens de tous âges. Tout cela exige beaucoup de vérité et d’humilité, ce qui est un peu comparable au cheminement de l’apôtre Pierre. La mission de l’Église, à l’intérieur et à l’extérieur, a encore un avenir ! « Et moi, je te dis que tu es Pierre, et sur cette pierre je bâtirai mon Église, et les portes du séjour des morts ne prévaudront point contre elle. » (Mt 16,18-19).  

Freddy Kyombo, M.Afr.

“Régionalité et fraternité incarnées… vision en dents de scie” (PE n° 1091 – 2018/05)

Le passé qui revient et le passé qui ne revient jamais constituent un moment de notre vie qui évoque des souvenirs et des sentiments résonant sans cesse, comme une onde, dans les lointains recoins de notre existence. Par exemple, le bonheur d’un exploit réussi ou de la reconnaissance pour avoir entraîné des frères ou des soeurs dans une démarche de don de soi qui débouche sur une foi incarnée dans la prière, le témoignage et l’engagement pour le bien dans la justice. Ce moment de notre vie a eu aussi ses démons. Leur laideur nous hante quelquefois l’esprit au point d’enclencher le sentiment de révolte face aux échecs et limites humaines. Heureusement, par la grâce divine, nos échecs et nos limites humaines nous replongent dans la spiritualité de l’humilité pour bien savourer et célébrer la miséricorde de Dieu et la joie du soutien fraternel dont la bienfaisance a fait ses preuves.  

Dans la durée nous nous acheminons vers une vision missionnaire incarnée et de plus en plus radieuse résultant d’un discernement holistique et continu. A cet effet, je salue la mémoire de nos aînés qui ont discerné et té- moigné de la vision incarnée du missionnaire-disciple et pour qui les sou- venirs de régionalité et de fraternité exhalent encore le sentiment de fierté et d’espérance. Heureux êtes-vous, pour avoir entraîné d’autres jeunes dans cette vision répondant, eux aussi, au même appel du Christ. “Vieillissants, vous fructifiez encore… parabéns !”

Dans le passé lointain, les vocations missionnaires venaient de la région du monde occidental. Ce fut l’époque de revendication de la tradition chrétienne. Après, il y eut une remarquable diminution des vocations missionnaires et aujourd’hui nous observons une espèce de froideur et de désintéressement vis-à-vis de la foi catholique. Alors que dans un passé récent, la région du monde africain a commencé à vivre son âge d’éclosion missionnaire. En Afrique, il y a encore un enthousiasme vis-à-vis de la foi catholique. Mais une question mérite tout de même d’être posée ; combien de temps cette expression missionnaire enthousiasmée va t-elle durer ? Cela prendra certainement quelques temps encore avant que ne commence le refroidissement vis-à-vis de la foi catholique et la diminution des vocations missionnaires comme ailleurs. Les signes précurseurs sont en train de changer la donne avec l’avènement des mouvements pentecôtistes, des Églises de ‘réveil’, de certaines religions orientales (avec l’arrivée des Chinois, Indo-Pakistanais, etc.), des sociétés secrètes qui recrutent beaucoup parmi les jeunes africains, vu aussi les perspectives de stabilité et de croissance macro-économique à l’horizon plus ou loin lointain, etc. Cet avènement est en train de provoquer un choc culturel mais nous devons nous attendre à d’autres bouleversements mineurs ou majeurs dans un avenir plus ou moins lointain avant de commencer à enregistrer la baisse des vocations missionnaires. Rien n’est statique rappelons-nous. Considérant les changements à l’horizon et s’inscrivant dans la vision d’une mission incarnée, nous pouvons sérieusement envisager partout où nous sommes implantés des mouvements de “laïcs amis des missionnaires d’Afrique”, aussi bien au niveau local qu’international. Nous pouvons aussi envisager, dans un futur plus ou moins proche, l’implantation des communautés d’animation missionnaire dans d’autres régions du monde, par exemple, à Madagascar, en Corée du Sud, en Indonésie, etc. Le modèle indien qui a été un investissement à long terme et tout récemment le modèle brésilien sont en train de porter leurs fruits, sans oublier à chaque région sa réalité et sa particularité !

Raphaël Muteba Ndjibu, M.Afr.

Souvenirs d’un aumônier d’école secondaire (PE n° 1091 – 2018/05)

J’ai été aumônier d’une école secondaire en Zambie de Pâques 1975 à janvier 1982. Voici comment s’est passée ma nomination à ce poste.

Ce jour-là, je voyageais de Chilonga, la paroisse où j’étais prêtre assistant, vers l’évêché du diocèse de Mbala (qui n’existe plus, une partie – au nord – ayant passé à l’archidiocèse de Kasama, l’autre partie – à l’ouest – étant devenue le diocèse de Mpika). De Chilonga à Mbala il faut compter plus 400 km ; c’était, en ce temps-là, une piste gravillonnée. La densité du trafic était minime… Au milieu de nulle part, je vis arriver un véhicule qui me semblait pressé. On eut juste le temps de se recon- naître ; il s’agissait du Père Régional de Zambie. En fait, il venait me voir à Chilonga pour me demander d’aller remplacer le P. M. Merizzi qui venait d’être nommé assistant régional ; jusque-là, Mike avait été aumônier de Lwitikila Secondary School. Ayant fait quelques études en catéchèse et ayant déjà travaillé avec des jeunes, j’acceptais sans trop d’appréhension. Je repartais aussitôt vers Mbala où je me rendais pour prendre part à une assemblée presbytérale. Je ne me souviens pas si le Régional poursuivit sa route ou rebroussa chemin vers son bureau à Kasama mais je me souviens que lorsque ce fut à mon tour d’être au bureau du Régional j’ai fait de nombreuses consultations et nominations en pleine brousse, au gré de mes visites aux confrères et des tournées des missionnaires !

L’école secondaire Lwitikila

L’école secondaire de Lwitikila, était (est encore) en fait un pensionnat pour jeunes filles appartenant au diocèse de Mpika, et tenue (en ce temps-là) par les Sœurs du Sacré-Cœur de Jésus et du Cœur Immaculé de Marie de Chigwell (Londres). En arrivant à cette école, on ne me cacha pas qu’il ne me serait pas facile d’y être vite accepté. C’était une institution de plus de 500 jeunes filles de 12 à 18 ans. En fait, les choses se passèrent assez bien ; ces filles comptaient sur la bienveillance de l’aumônier en un endroit où la discipline était plutôt stricte. Mais 500 jeunes filles ! Quelques confrères me demandaient comment je me sentais au milieu de ce monde ! Je crois qu’ils s’inquiétaient un peu pour ma santé mentale et morale. Il me semble me rappeler que je répondais quelque chose comme ceci : « elles sont trop nombreuses pour être un problème ! »  (Mais quand même,… mieux valait ne pas être trop sûr de soi !).

Assez vite après mon arrivée à cette école, un groupe de ces filles vint me trouver pour me demander de reprendre les bénédictions du Saint-Sacrement le dimanche soir ; celles-ci avaient été abandonnées quelque temps plus tôt. Je refusais. Je refusais  parce que je pensais que cette dévotion n’était pas ce dont ces jeunes avaient réellement besoin. Je les invitai à être créatives et à trouver quelque chose de significatif pour la fin de la journée, le dimanche… J’oubliai vite et leur demande et ma réponse jusqu’à ce qu’un dimanche soir, me rendant à l’église (il faisait déjà noir) je remarquai qu’il y avait des lumières dans le sanc- tuaire. Je m’approchai et découvris une trentaine de filles assises par terre, autour de l’autel, chacune avec une bible et une bougie allumée… Il s’agissait d’un moment de partage qui se renouvellera chaque dimanche quand l’école était en session… Ce jour-là, je me retirai sur la pointe des pieds pour ne pas troubler ce moment de prière libre de toute contrainte ou formalisme.

Le staff de l’école secondaire de Lwitikila

L’enseignement religieux

En ces temps-là, être aumônier d’une école secondaire voulait dire faire partie du corps professoral. Le corps professoral était composé de laïcs volontaires provenant d’Irlande et du Royaume-Uni, et aussi de quelques Zambiens, hommes et femmes, fraîchement sortis des écoles normales ou de l’université. C’était un groupe dynamique, jeune, enthousiaste. Comme membre de ce corps, je devais enseigner au même titre que les autres professeurs. Bien évidemment, j’enseignais les cours de religion avec l’aide de quelques Sœurs et de quelques laïcs. Le cours de religion que je trouvais en arrivant à cette école était un cours de Connaissance de la Bible (Bible Knowledge) qui était reconnu comme branche d’examen pour l’obtention du certificat Cambridge. Je fus vite fatigué par ce genre d’enseignement (en fait, les Actes des apôtres), travail purement académique de mémorisation sans trace de formation (humaine ou autre)… Avec un groupe d’aumôniers d’écoles secondaires nous avons décidé de partir à la recherche d’un autre cours plus adapté aux jeunes et plus vivant.

Bien heureusement, un nouveau cours venait d’être produit au Kenya ; c’était un cours remarquable par sa méthodologie et son contenu. Pour le cours secondaire inférieur, il s’agissait de « Grandir en Christ » (Developing in Christ) ; pour le cours supérieur, « Vivre en Christ » (Living in Christ). Mais les livres étaient au Kenya. Avec l’aumônier de l’école voisine et le soutien efficace de feu Père Frank Carey qui travaillait pour le ministère de l’Education, on a décidé d’aller les chercher nous-mêmes, chacun avec son pick-up : 2 tonnes de livres, c’est-à-dire assez d’exemplaires pour lancer le cours dans trois ou quatre écoles. Partis tôt le matin, nous arrivions à Nairobi à la tombée de la nuit ; le lendemain, chargement des livres et un peu de repos ; le surlendemain, retour à Lwitikila où nous sommes arrivés dans la nuit noire. Quelle aventure, avec le passage de 3 frontières : Kenya, Tanzanie, Zambie. Mais, nous étions encore jeunes, la vue ne faiblissait pas encore et le dos ne faisait pas encore trop mal. Et puis, il y avait la fierté d’avoir fait un safari utile à la mise en route d’un nouveau cours d’éducation religieuse.

Le culte dominical

L’école de Lwitikila était une institution catholique mais l’admission ne suivait en rien la confession des élèves. La proportion était plus ou moins 50-50 : une moitié de catholiques pour une moitié de protestants ou autres. Le dimanche, les catholiques avaient leur messe tôt le matin, tandis que les autres (UCZ, Église Unie de Zambie) avaient leur culte en fin de matinée sous la présidence de leur pasteur qui venait de la ville voisine… Un dimanche avant midi, je me trouvais dans l’enceinte de l’école. J’y visitai les groupes qui avaient leurs réunions hebdomadaires : Jeunesse Chrétienne Étudiante, Groupe de Vocations, Groupe biblique, chorale… Nous entendîmes soudain des hurlements provenant de la salle où s’était rassemblée la communauté protestante. Bruits de vitres cassées, portes enfoncées, filles qui s’enfuyaient de tous côtés, et même sautant par les fenêtres. Que s’était-il passé ? Peut-être un serpent s’était-il introduit dans la salle ? Rien de ça ! Il s’était passé que le pasteur qui, habituellement, venait présider au culte avait donné sa place, ce jour-là, à un ministre pentecôtiste. Quand celui-ci commença à pousser des cris pour son exercice d’exorcismes et sa séance de guérison, les filles qui n’avaient pas l’habitude de ces choses, commencèrent à paniquer et bientôt à prendre peur. D’où le pandémonium…

Quelques jours plus tard, mais sans rapport à cet événement, l’administration de l’école renvoyait chez leurs parents une quinzaine d’élèves. C’était des « born-again » qui refusaient d’être présentes aux heures d’étude et préféraient s’adonner à leurs exercices religieux. Ces born-again étaient une vraie peste et entravaient la bonne marche de l’école. Quant à notre ministre pentecôtiste, on ne le revit jamais. Peut-être, voyant la réaction des filles, avait-il pris peur lui aussi; ou peut-être avait-il juré de ne jamais revenir à cette institution catholique qui avait causé la défaite de ses pouvoirs guérisseurs.

Autres activités

Et quoi encore ?… Le gouvernement de Zambie avait demandé que chaque école ait une unité de production. L’école de Lwitikila décida qu’on creuserait des étangs pour l’élevage de poissons. Nous avions une rivière à proximité. J’avais la charge de ce gros travail. On eut quelques bons résultats : deux ou trois repas pour toute l’école avec du poisson frais. Hélas, on dût abandonner le projet bien vite : des loutres avaient remonté la rivière et saccageaient les étangs… Et encore : deux attaques de l’école par les garçons de l’école secondaire voisine (15 km !). Comme souvent dans ces cas-là les filles avaient insulté les garçons. Pas question pour eux de laisser passer ça ! Et enfin, les fêtes, les célébrations. Il y a à Lwitikila une grande et belle église. Pour des occasions spéciales, toute l’école s’y rassemblait. J’avais demandé à la maman d’un de nos confrères qui enseignait les sciences domestiques à l’école de couper dans des tissus locaux (Fitenge) les uniformes des servantes à l’autel, des lectrices et des acolytes. Elles avaient belle figure dans leurs longues « aubes » aux couleurs fortes et aux dessins africains. Il y avait des processions, des danses ; il y avait surtout 500 filles qui, quand elles chantaient toutes ensemble avec enthousiasme pouvaient vous faire ressentir des émotions intenses. Un chant en anglais avait toujours du succès : «The Lord of the Dance.»

« Danse, donc, où que tu sois! Je suis le Seigneur de la danse, avait- il dit ! »

Quelques mois après avoir quitté cette école, j’étais nommé assistant régional pour la Zambie. Passer d’une école de 500 filles à une bande de 150 ou plus de Missionnaires d’Afrique n’était pas une chose évidente. Mais j’avais appris (et enseigné) que la vie était changement et que pour vivre pleinement il fallait avoir changé souvent… Au cours de mes pérégrinations comme assistant régional puis régional, je rencontrais parfois d’anciennes élèves. Certaines étaient déjà mères de familles, d’autres Sœurs Professes ; ces retrouvailles étaient toujours joyeuses. On avait oublié les moments de frustrations ;  ne restait que l’estime mutuelle et quelque chose comme de l’amitié.

Jean-Pierre Sauge, M.Afr.